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semble des œuvres de foi, de raisonnement et d’imagination. Il n’est pas indifférent pour l’intelligence de la Grèce de reconnaître les élémens si divers dont elles se sont formées. Comment à un fonds d’idées communes aux races aryennes et issues d’un naturalisme particulier se sont ajoutés des élémens sémitiques, dont M. Curtius n’est, d’ailleurs, nullement enclin à diminuer la part ; comment chaque tribu, chaque famille est venue avec un apport plus ou moins riche, suivant le climat et la nature des pays où elle avait vécu pendant les stations du voyage, suivant ses mœurs, son degré de civilisation, l’état de sa langue ; quel travail d’assimilation et de fusion s’est accompli en Grèce et comment s’est produite cette unité relative qui paraît dans les poèmes d’Homère et d’Hésiode, ces bibles des Grecs : ces questions n’intéressent pas seulement le mythologue et le savant curieux d’érudition religieuse ; l’historien n’a pas le droit de les négliger, parce qu’elles lui font mieux connaître le caractère et le tour d’esprit des populations helléniques, et parce qu’elles l’introduisent plus avant dans leur vie politique comme dans leur vie morale.

Si l’érudit dégage de ce genre d’études des faits et des lois d’un grand intérêt pour la science de l’esprit humain, l’historien y trouve aussi beaucoup à apprendre sur l’organisation intérieure des peuples grecs et sur leurs relations entre eux. Quel complément M. Curtius n’y trouverait-il pas à ses importantes recherches sur les origines de l’oracle de Delphes ! La mythologie, sanctionnée par le culte, est le point de départ du droit religieux, auquel est soumis le patriotisme, elle domine les rapports des métropoles avec leurs colonies, elle intervient dans le droit des gens, et son action se prolonge indéfiniment. Voyez comme les légendes sur les Héraclides et sur le siège de Thèbes par les sept chefs aident complaisamment Athènes à se composer pour toujours une attitude de générosité politique ! Voyez comme les mythes y servent de soutien à l’autorité de l’aréopage ! Voyez, au déclin de la liberté, quel secours la mythologie prête encore, par son empire sur les mœurs, à l’ambition vaniteuse d’Alexandre, fils d’Ammon, ou à la flatterie de ceux qui font de Démétrius Poliorcète un fils de Poséidon et d’Aphrodite ! La flatterie et l’ambition ne prennent ce tour que parce qu’elle a façonné l’esprit grec comme dans un moule dont il garde toujours l’empreinte.


II.

M. Curtius découvre l’histoire dans les ombres du passé le plus inconnu : on conçoit avec quelle force il est prêt à la saisir là où elle existe de l’aveu de tous. Et par l’histoire il faut entendre non