Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’inutilité des armemens, l’excès des dépenses et la nécessité d’une politique de paix. Cette brochure, commentée par tous les journaux, produisit une grande impression. Ce fut comme un rayon de bon sens éclairant le désordre de cette panique nationale. Les Anglais réfléchirent et commencèrent à se calmer. Encore une fois, par une intervention opportune et vraiment brave, Cobden contribua au maintien de la paix.

Cette œuvre, commencée au début de sa carrière politique, il la continua jusqu’à la fin de sa vie ; on peut même dire qu’il y succomba. La constitution la plus robuste n’aurait pu supporter la tension d’esprit, l’agitation perpétuelle qu’il s’imposait pour l’accomplissement de ses devoirs parlementaires. Il voulait aborder toutes les questions et il y pénétrait à fond ; soit qu’il préparât un discours pour la chambre, soit qu’il écrivît une brochure ou un article de journal, il tenait à recueillir toutes les opinions, tous les documens ; il feuilletait sans cesse la collection Hansard. Doué d’une prodigieuse facilité de parole et de plume, il avait au plus haut degré le respect de son public et il ne parlait ou n’écrivait qu’après une longue étude. C’est ce qui le rendait supérieur dans la discussion et le classait, à la chambre des communes, parmi les plus habiles debaters. Mais ce travail excessif usait ses forces ; dès 1861, à son retour d’Alger, sa santé était profondément atteinte ; il avait une affection de poitrine qui commandait beaucoup de ménagemens. Au lieu de prendre quelque repos, il se surmena, et nous lisons dans sa correspondance qu’en 1864 il suggérait à M. Bright l’idée d’une seconde ligue pour réformer les lois sur la propriété foncière, — toute une révolution ! Au mois de février 1865, ses amis voulurent le retirer de la fournaise où il se consumait. M. Gladstone lui offrit, comme retraite, la fonction de président de la cour des comptes, c’est-à-dire une sinécure dotée d’un traitement de 50,000 francs. Il refusa, voulant rester à la chambre des communes et y mourir. — Le 20 mars, venu à Londres pour assister à une séance dans laquelle il se proposait de combattre un bill relatif aux fortifications du Canada, il prit froid ; la bronchite qui s’était déclarée fit de rapides progrès, Cobden s’éteignit le 2 avril 1865.


Cobden a laissé un nom qui ne tombera pas dans l’oubli. Il a occupé un rang éminent parmi les hommes politiques de sa génération. Ses goûts personnels, plus encore que les circonstances, l’ont tenu à l’écart des fonctions officielles ; il n’a pas été ministre, mais il a été à certaines heures plus puissant qu’un premier ministre. Il voulait être et il a été autre chose qu’un homme d’état. Gouverner selon les vieilles traditions, au gré des passions ou des caprices qui mènent les partis, cela ne le tentait pas ; au gouvernement il a