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doctrine de l’école de Manchester et s’attachait à démontrer que les peuples ont plus d’intérêt à convertir le fer en machines, en instrumens de travail, qu’en canons, en fusils, en instrumens de destruction. Le discours de M. Bright fixa l’attention de M. Michel Chevalier, qui en écrivit à Cobden, avec lequel il correspondait fréquemment. Peu après, M. Michel Chevalier se rendit à Londres.

La réalisation de l’idée émise par M. Bright présentait de nombreuses difficultés. D’une part, il était certain que la réforme du tarif français par la voie législative rencontrerait une opposition presque invincible, et cet obstacle ne pouvait être évité ou tourné que par la conclusion d’un traité, la constitution française autorisant l’empereur à modifier, par décret, les tarifs stipulés dans un acte diplomatique ; mais encore l’empereur voudrait-il ou oserait-il user de sa prérogative ? D’un autre côté, les partisans du free-trade, en Angleterre, s’étaient prononcés contre le régime des traités de commerce ; ils n’admettaient pas que le tarif anglais accordât des avantages particuliers à une nation plutôt qu’à une autre ni qu’il pût être modifié en vertu d’actes diplomatiques. Il convient d’ajouter, pourtant, que l’objection n’était pas insurmontable. En politique, les principes plient devant les intérêts, et Robert Peel, lors des réformes opérées de 1842 à 1846, avait précisément réservé les tarifs des vins et des spiritueux, afin d’obtenir plus tard, en échange de leur réduction, l’abaissement des tarifs étrangers au profit des marchandises anglaises. Sur ce point donc, on pouvait espérer de calmer les scrupules des free-traders. Le moment d’agir paraissait favorable. Le remboursement prochain d’une série de rente amortissable devait laisser disponible une somme de plus de 50 millions de francs ; ce qui permettrait au budget anglais de supporter facilement la diminution de revenu qui serait la conséquence des dégrèvemens accordés à l’importation des produits français.

Ces points éclaircis, comment engager la campagne ? Il fallait que l’un des deux gouvernemens fît les premiers pas. Or, si les dispositions personnelles de M. de Persigny, alors ambassadeur à Londres, n’étaient pas douteuses, il semblait difficile que, dans l’état des esprits en France et devant les provocations de la presse anglaise, les ouvertures officielles vinssent de Paris. En même temps Cobden, qui avait refusé d’entrer dans le cabinet de lord Palmerston, ne se croyait pas l’autorité suffisante pour agir sur l’esprit du premier ministre, qu’il savait médiocrement préparé à écouter des avis concilians à l’égard de la France. Heureusement, M. Gladstone était ministre des finances. Il avait combattu pour le free-trade, et il voulait la paix. Cobden et Michel Chevalier l’entretinrent du projet de traité, ils lui représentèrent les avantages politiques et