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intérêt à marquer d’un trait rapide certaines opinions qui s’y rencontrent sur les questions essentielles dont les chefs de l’école de Manchester ont poursuivi l’examen.

En première ligne se présente la question du droit électoral. Dès 1838, Cobden écrivait « qu’il avait une confiance sans bornes dans le peuple et qu’il préférerait courir les risques du suffrage universel plutôt que de s’en tenir au régime établi par l’acte de réforme de 1832. » Deux ans plus tard, il déclarait que, « plus tôt le gouvernement du pays serait enlevé à l’oligarchie foncière qui en avait si mal usé pour être remis absolument aux mains de la classe moyenne et de la classe laborieuse, mieux cela vaudrait pour le bien-être et les destinées de la nation. » Cette opinion se modifia quelque peu au cours de l’agitation de la ligue. Serait-ce que Cobden avait vu de plus près, dans des meetings souvent tumultueux, les passions et les entraînemens de la multitude, du mob ? En 1849, alors que la proclamation du suffrage universel en France devait encourager le petit groupe de radicaux anglais qui réclamaient l’extension indéfinie du droit de vote, Cobden se défie, et l’un de ses argumens, — argument bien inattendu, — c’est la crainte que l’aristocratie des tories ne s’avise de proposer elle-même le suffrage universel comme un moyen suprême de salut, afin d’exploiter l’ignorance et la crédulité des masses populaires contre l’ambition légitime des classes intelligentes : à ses yeux, le suffrage universel pourrait devenir, sous un despote ou sous le joug d’une aristocratie, un instrument d’oppression. — Ces opinions successives, influencées sans doute par les circonstances, ne sont point exemptes de contradiction ; il en résulte pourtant, en dernière analyse, que Cobden était, par principe, partisan du suffrage universel, mais qu’il ne jugeait pas prudent de l’adopter immédiatement. Il croyait que, pour le moment, la classe moyenne, dans laquelle il comprenait l’élite des ouvriers industriels et agricoles, et qui pouvait ainsi fournir un chiffre très élevé d’électeurs, était seule capable de livrer le combat à l’aristocratie et de préparer l’avènement d’un régime vraiment démocratique. Afin de hâter l’application complète du suffrage universel, il réclamait, avec M. Bright, la réforme des lois qui s’opposaient à la division de la propriété foncière et, par-dessus tout, un large système d’éducation nationale.

Ce système d’éducation pouvait, dans la première pensée de Cobden, être à la fois clérical et laïque, c’est-à-dire que l’enseignement de l’école aurait compris l’instruction religieuse et admis l’intervention du pasteur. Cobden avait des sentimens religieux ; il était même churchman, ministre de l’église établie ; il respectait les hommes d’église, et l’on a vu que, dans les premiers temps de la