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et recommande un certain William Thackeray, qui serait capable de faire les dessins et de rédiger les légendes (c’est ainsi que Thackeray a débuté). La réforme postale de Rowland-Hill vient d’être décrétée ; vite, Cobden comprend le parti qu’il peut tirer du penny-postage et il expédie dans tous les comtés des milliers de circulaires et de tracts qui portent jusque dans les plus humbles hameaux l’écho des meetings tenus dans les grandes villes. Aucun détail ne lui échappe. Cobden est l’agitateur modèle. Il n’a cependant pas l’apparence robuste d’un lutteur, sa voix ne tonne pas ; il n’a dans sa personne ni dans ses traits, presque vulgaires, rien qui impose tout d’abord et soit de nature à frapper les regards ou l’imagination des foules ; mais il possède admirablement son sujet, il expose avec une clarté saisissante les argumens et les chiffres, il approprie avec une dextérité merveilleuse sa discussion et son langage au tempérament de l’auditoire auquel il s’adresse ; il est véhément sans être brutal, son éloquence vient surtout de la foi dont il est pénétré et dont il pénètre ceux qui l’écoutent ; finalement il arrive à persuader et à convaincre. D’autres orateurs, de souffle plus puissant et de style plus imagé, obtenaient plus fréquemment des « tonnerres d’applaudissemens. » Les discours de Cobden produisaient moins d’acclamations que de conversions et donnaient à la ligue un plus grand nombre de prosélytes.

Comme orateur et comme stratégiste, Cobden obtint un égal succès dans les débats du parlement. Lorsqu’il entra, en 1841, à la chambre des communes, il n’était connu de la plupart de ses collègues que par le bruit qui s’était fait autour de son nom et par les comptes-rendus des meetings populaires. On s’attendait à voir un sectaire et à entendre un tribun, il y avait à son égard plus de curiosité que de bienveillance, et l’on se réservait de rendre la vie dure à cet élu de Stockport s’il venait à rééditer en plein parlement les tirades habituelles des ligueurs contre l’aristocratie et les monopoles. Les circonstances obligèrent Cobden à prononcer son maiden speech dès le premier débat de la session, épreuve redoutable pour les plus vaillans. Il voulait prendre immédiatement position en déclarant que les querelles de partis, les compétitions ministérielles avaient perdu toute importance devant la détresse générale du pays et que la question des corn-laws, la question alimentaire, était la seule qui méritât de fixer l’attention du parlement. Cela fut dit simplement, dans un langage modéré qui contrastait avec les déclamations des meetings. Ce début et deux autres discours qu’il prononça pendant la même session classèrent Cobden parmi les orateurs que l’on écoute parce qu’ils parlent utilement et à propos. Aux sessions suivantes, à mesure que la question introduite par lui à la chambre des communes prenait une plus grande place dans les délibérations, Cobden,