Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Stockport, battant de plusieurs centaines de voix son ancien adversaire. Avec lui et avec quelques-uns de ses amis, qui conquirent des sièges dans les districts du nord de l’Angleterre, la ligue entrait au parlement.

De 1841 à 1846, la question des céréales, jointe à la réforme du tarif des douanes, fut, à l’intérieur, la grande et unique question de la politique anglaise. Les élections de 1841 avaient condamné le cabinet de lord Melbourne, qui tomba, dès le premier vote, sous le coup d’une majorité de plus de quatre-vingts voix, et sir Robert Peel avait été immédiatement appelé, avec les tories, à prendre la direction des affaires. Ce n’était pas précisément un succès pour le parti de la ligue ; car Peel désirait le maintien de l’échelle mobile et il avait à tenir grand compte des traditions et surtout des intérêts du parti tory ; mais il était convaincu que les autres articles du tarif devaient être immédiatement réduits, et que la liberté des échanges pouvait être acceptée, non comme un dogme, mais comme une mesure profitable aux intérêts de l’Angleterre ; de là les réformes accomplies en 1842. La ligue, méconnue ou dédaignée à ses débuts par les whigs, qui ne lui attribuaient aucune influence politique ou parlementaire, pouvait donc espérer que Peel, engagé par ses premières réformes, compromis aux yeux des protectionnistes, obligé par suite de chercher, dans le parlement, de nouveaux appuis, en viendrait peu à peu à réviser pour le moins, peut-être à supprimer la taxe du blé, surtout si l’opinion publique, en dehors du parlement, s’affirmait avec quelque énergie. Cette espérance ne fut point déçue. Chaque année la ligue gagnait du terrain. Pendant que ses orateurs et ses conférenciers agitaient tous les comtés, le débat sur les corn-laws remplissait la plupart des séances de la chambre des communes et portait le désordre au milieu des anciens partis. Whigs et tories n’existaient plus. Les combats politiques se livraient pour ou contre le libre échange et la taxe du blé. On était free-trader ou protectionist. Les chefs du parti whig, en vue de reconquérir le pouvoir qui leur avait échappé en 1841, se montraient plus disposés à accepter, malgré leurs attaches aristocratiques, une réforme qui devenait populaire et qui s’accordait avec leurs traditions libérales. De son côté, Peel, qui n’avait consenti d’abord qu’à une réduction des droits, inclinait visiblement vers une décision plus radicale, mais pour cette évolution que lui conseillaient son rôle d’homme d’état et ses opinions d’économiste, il était retenu par la résistance de plusieurs de ses collègues, du vieux duc de Wellington, inflexible jusqu’au bout, et de lord Stanley, ainsi que par les protestations de la majorité des tories. Il lui fallut combiner en quelque sorte une crise ministérielle, en se débarrassant des membres protectionnistes de son cabinet, rompre avec le gros de son ancien parti et profiter