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il avait cédé sa part d’associé dans la fabrique de Sabden ; il conservait une usine à Cross Hall, dans le Lancashire, et, à Manchester, la maison de vente, dont il laissait la direction à son frère Frédéric. Bien qu’il eût encore à se préoccuper, pour son compte personnel, des taxes qui influaient sur la main-d’œuvre et sur les salaires, on peut dire qu’en lui les opinions de l’économiste et du réformateur politique l’emportaient sur toute autre considération. Les extraits de sa correspondance attestent que, depuis plusieurs années, il avait l’esprit constamment tourné vers les réformes ; il déclarait la guerre à tous les monopoles créés et maintenus par les vieilles lois ; il annonçait déjà que la lutte aurait pour premier objectif la taxe du blé, et il indiquait même les moyens d’action :


Ne vous inquiétez pas, écrivait-il de Berlin en octobre 1838, du bruit que font les chartistes, ni même des crimes que commet parfois une multitude exaspérée. Ne craignez rien des excès, ni des fautes des radicaux. En somme, tout cela tire la nation de sa torpeur et l’oblige à réfléchir sur une situation déplorable que l’endormante politique des tories voudrait éterniser. Je vous abandonne nos radicaux. Ils sont maladroits et présomptueux, ignorans, si vous voulez ; mais que direz-vous donc des factions qui nous gouvernent ? L’égoïsme, l’exaction érigée en système et la fourberie politique sont encore plus haïssables que les bévues de la démocratie. Nous avons à choisir entre le parti qui gouverne selon les principes du privilège et du monopole, et le peuple qui recherche, quelquefois peut-être en aveugle, le bien du plus grand nombre. S’il se trompe, c’est à nous de redresser ses erreurs ; s’il est trop violent, nous devons le modérer ; mais, jamais, au grand jamais, ne me parlez d’abandonner la partie. Je crois que tous ces élémens, toutes ces forces de combat pourraient se rallier sous le drapeau de l’opposition aux lois céréales. Il me paraît que la lutte doit s’inspirer d’un souffle moral et même religieux. Agitons, agitons, comme on l’a fait pour la question de l’esclavage et avec les mêmes procédés. L’effort sera irrésistible.


Cette lettre est caractéristique en ce qu’elle exprime fidèlement et avec une sincérité qui ne saurait être suspecte, les sentimens qui animaient Cobden avant même qu’il se fût mis à l’œuvre. On pouvait croire, et à l’étranger les plus fervens amis de Cobden croyaient en effet qu’il avait entrepris l’abolition des corn-laws et des droits de douane uniquement pour faire prévaloir un régime économique plus conforme aux intérêts de son pays, que le succès et le renom acquis par lui à la suite de cette brillante campagne avaient grandi son ambition en même temps que ses idées, et qu’il était devenu ainsi, par degrés, homme politique et chef de parti. Cette