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On parla de ce projet à l’archevêque, qui l’approuva, au directeur de l’Assistance publique, qui l’encouragea, et on se mit en de voir de le réaliser. Il y a dans le monde parisien bien des gens riches qui sont friands de bonnes actions ; on s’adressa à eux, ils donnèrent et promirent leur concours ; on fit une quête, on emprunta et on put acquérir l’enclos où se lézardait la maison en ruines. Cinq frères de Jean-de-Dieu en prirent possession le 19 mars 1858 ; tant bien que mal ils l’approprièrent eux-mêmes, bouchèrent les crevasses, réparèrent la toiture, collèrent du papier sur les vitres brisées et, le 2 juillet, y reçurent le premier enfant infirme. Au 1er janvier 1859, la maison en comptait déjà dix, et vingt-sept en 1860 ; mais c’était tout ce qu’elle pouvait contenir. Il fallait ou s’agrandir ou fermer sa porte et renvoyer au pavé, à la misère, à la dépravation, les avortons chétifs qui criaient merci. On se souvint des commencemens de Jean Ciudad et l’on n’hésita pas. On fit de nouvelles quêtes, on contracta un nouvel emprunt ; on construisit une annexe, et l’on put donner asile à cent cinquante enfans. On espérait vivre ainsi, au jour le jour, profitant des ressources offertes par la charité pour augmenter le nombre des pensionnaires et la place qu’on pouvait leur consacrer ; mais on avait compté sans la guerre et sans la commune. Dès le début des hostilités, les frères de Saint-Jean-de-Dieu ne faillirent pas à leur mission, ils devinrent infirmiers militaires et ouvrirent une ambulance dans leur maison. On s’appauvrit, car l’on distribua aux blessés les provisions destinées aux enfans. Ce n’était que demi-mal, en ce temps de jeûne forcé ; on en fut quitte pour diminuer un peu les rations ; mais l’inconvénient fut plus préjudiciable et de conséquences graves. Les bombardemens sont mauvais pour les vieilles bâtisses ; les ondes sonores ne les frappent pas en vain, la trépidation les ébranle ; elles oscillent, s’entr’ouvent et semblent se pencher pour choisir la place où elles vont se laisser tomber. Les murailles disjointes, les fondations tassées sur elles-mêmes n’offraient plus de sécurité ; on avait beau appliquer des étais, soutenir les angles affaiblis et les pignons chancelans, la maison menaçait ruine, elle s’effondrait ; dans les grands vents d’ouest, elle tremblait. Il fallait prendre un parti ou risquer de se réveiller un matin englouti sous les décombres. Après bien des hésitations, bien des calculs, on se mit à l’œuvre : à la grâce de Dieu ! La grâce de Dieu ne fit pas défaut. Les bienfaiteurs de l’asile ne reculèrent point devant un sacrifice ; un des frères s’improvisa architecte ; comme Renaud de Montauban à la cathédrale de Cologne, il traçait les lignes, jetait les fondemens, portait les pierres et s’ingéniait à utiliser les vieux matériaux. L’effort fut considérable ; lentement, économiquement,