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irréparable. Si l’on lit sa Correspondance avec le comte de La Marck, pendant cette année 1790, son antipathie contre Montmorin, la sévérité de son jugement, y sont accusées à chaque page ; il le croit le serviteur de La Fayette et il ne le lui pardonne pas. La vivacité de son langage devait s’adoucir du jour où Montmorin put le convaincre que, quelles qu’eussent été son amitié et sa déférence pour La Fayette, son dévoûment à la cause de la monarchie constitutionnelle l’emporterait sur tout. Cette preuve ne tarda pas à être faite.

Necker, opposé à l’établissement des assignats, lassé de la conduite de l’assemblée, mécontent aussi de l’opposition sourde et continue qu’il rencontrait dans l’entourage intime du roi, avait comme nous l’avons dit, pris la résolution de se retirer. Il était parti le 8 septembre le cœur brisé. Le renvoi du ministère à la suite de cette retraite avait été obtenu. Montmorin seul avait été conservé et devenait le véritable chef du cabinet. Il n’était plus possible que le ministre principal n’eût aucune connaissance des projets ou des conseils de Mirabeau. Les rapports avec le roi, du moment qu’il n’y avait pas un centre de direction, étaient plutôt des intrigues qu’un système de conduite. Le comte de Mercy-Argenteau, qui avait l’oreille de la reine, était convaincu qu’on ne pourrait tirer parti de Mirabeau qu’en l’abouchant avec Montmorin. La Marck avait été chargé de cette délicate entreprise ; il en parla à Marie-Antoinette. Elle tenait toujours rigueur à Montmorin de sa trop facile soumission aux volontés de Necker. Néanmoins, comme elle reconnaissait qu’il n’avait fait en cela qu’obéir au roi, elle pardonna facilement ; elle n’avait pas du reste été longtemps sans s’apercevoir qu’au milieu des nouveaux ministres Montmorin était le seul ami. Il venait d’avoir avec son collègue, Duport du Tertre, le successeur aux sceaux de Champion de Cicé, une altercation des plus vives. Seul datas le conseil, il osait prendre la défense de la reine ; on ne parlait rien moins dans les clubs que de la légitimité d’un attentat sur l’Autrichienne. Montmorin demandant si on laisserait consommer un tel forfait, Duport du Tertre répondit froidement qu’il ne se prêterait pas à un assassinat, mais qu’il n’en serait pas de même s’il s’agissait de faire un procès à la reine. « Quoi ! s’écria Montmorin, vous ministre du roi, vous consentiriez à une pareille infamie ? — Mais, répondit l’autre, s’il n’y avait pas d’autre moyen ! » Cela se passait en décembre 1790. On conçoit que Marie-Antoinette n’ait plus hésité à donner son affection à l’honnête homme qui la défendait courageusement.

Mirabeau rend compte dans sa quarante-sixième note de l’accueil empressé qu’il venait de recevoir de Montmorin. Il lui avait, en effet, fort habilement inspiré confiance ; après avoir dissipé tout soupçon de connivence avec La Fayette, après avoir rejeté sur