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à l’issue du conseil, prit à part M. de La Luzerne et le chargea d’aller porter à Necker une lettre qui lui ordonnait de quitter la France. Il lui recommandait seulement de cacher à tout le monde son départ. Le lendemain, M. de Montmorin recevait, de son côté, un billet de Louis XVI lui annonçant qu’il jugeait à propos de l’éloigner et pourvoirait plus tard à ses besoins en récompense de ses services. M. de Breteuil, incapable de comprendre autre chose que le gouvernement des lettres de cachet, devenait premier ministre ; M. le duc de Lavauguyon acceptait le portefeuille des affaires étrangères. Deux jours après ce coup d’état, la Bastille était prise ; le roi venait à Paris, arborait la cocarde nationale et rappelait les ministres qu’il avait congédiés. Necker, en rentrant, rencontrait à Bâle Mme de Polignac et sa famille, partant pour l’émigration. Montmorin, qui connaissait à fond Necker, fut étonné de son dévoûment.

L’essai d’une monarchie constitutionnelle démocratique allait, pour quelques mois, succéder à l’essai de monarchie anglaise.


III

La Fayette, dont l’esprit était pareil à celui d’un Américain des États-Unis et qui soutenait la monarchie par de voir plus que par goût, fut le personnage important de cette seconde période. Envoyé par la noblesse d’Auvergne à la constituante, compatriote da Montmorin, ils s’étaient liés à Madrid, au retour de la guerre d’Amérique. Cette amitié se noua plus solidement, lorsque, devenu chef des gardes nationales, La Fayette eut, en réalité, le commandement de toute la force armée. Montmorin crut un instant qu’avec son appui il pourrait encore sauver la royauté. Il voulut à tel point s’assurer de lui au profit de la famille royale, qu’il lui avait offert d’être connétable ou lieutenant-général du royaume. La Fayette avait refusé. Montmorin se fia à sa loyauté et ne s’en repentit jamais, mais il fut déçu dans son espoir en la valeur politique de l’homme, quand il eut à combiner avec lui l’organisation d’un plan intérieur pouvant à la fois servir à réprimer les clubs et à relever l’autorité constitutionnelle de Louis XVI.

La Fayette avait été consulté par Montmorin pour compléter le ministère. L’archevêque de Bordeaux, Champion de Cicé, devint garde des sceaux, le comte de La Tour du Pin, ministre de la guerre ; M. de La Luzerne reprit le département de la marine, le maréchal de Beauvau fut appelé au conseil sans portefeuille. Necker, qui présidait, n’avait plus foi au succès de sa cause et il ne pouvait désormais se flatter de la confiance du roi, pas plus que de celle de l’assemblée.

En reprenant son poste aux affaires étrangères, le comte de Montmorin comprenait aussi que l’ancienne politique de la maison de