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c’est à ce moment que nos habiles gouvernans se font un jeu de briser par d’indignes persécutions religieuses avec ce pape, de le rejeter vers l’Europe, vers la triple alliance, vers l’Allemagne, au risque d’ajouter encore à notre isolement. Qu’espèrent-ils donc ? Il est vrai que, pour faire honneur à la politique radicale, ils ont encore la ressource de s’allier avec ceux qui viennent de fêter en plein Paris Garibaldi et la république universelle ! Ce sera sûrement un bon moyen de se remettre en bons rapports avec l’Italie, de calmer les défiances ou les dédains de M. de Bismarck et même de gagner les faveurs de la Russie. Voilà cependant la situation ou nous conduit ce désastreux système de guerre religieuse, et d’où l’on ne peut sortir que par une politique de prévoyante modération digne de la France ! Le mal est fait aujourd’hui, il faut le réparer : il faut tout au moins s’arrêter dans cette voie où, en se payant de grands mots, on ne prépare à notre pays que des mécomptes et peut-être des épreuves nouvelles ! L’Angleterre n’a point aujourd’hui pour sa part l’embarras de ces affaires de religion. Elle est tout entière à d’autres questions qui la préoccupent plus vivement et qui reviennent presque chaque jour sous la forme d’interpellations dans les débats de son parlement. Jamais peut-être les ministres de la reine n’ont été assaillis de plus d’interrogations au sujet de tous les incidens qui peuvent se produire dans le monde, et le plus souvent c’est de la France qu’il s’agit. L’Angleterre se défend sans doute de ce qui ressemblerait à une hostilité préméditée et systématique contre notre pays ; elle ne suit pas moins avec une attention jalouse, avec des mouvemens qu’elle ne déguise guère, tout ce que la France peut projeter ou tenter au Tonkin comme sur les côtes de Madagascar. Elle a, si l’on veut, les impatiences d’une grande nation ombrageuse, et le résultat pour le moment, on ne peut s’y tromper, est que tout ne va pas le mieux du monde dans les rapports des deux pays ou des deux gouvernemens. Il en est ainsi depuis ces malheureuses affaires d’Egypte où notre diplomatie n’a pourtant pas gêné les Anglais, et les malentendus se sont multipliés, les difficultés n’ont fait que s’aggraver à mesure que la France s’est engagée dans toutes ces entreprises coloniales avec lesquelles elle a aujourd’hui à se débattre. Que l’Angleterre doive s’apaiser un jour ou l’autre et revenir à plus de justice pour la France quand elle verra que ces entreprises qu’elle voit si impatiemment ne peuvent nuire ni à ses intérêts ni à sa puissance dans l’extrême Orient, c’est vraisemblable et c’est à espérer. Pour l’instant elle se sent assez agitée, elle passe son temps à nous dire des choses assez dures, à nous prendre en faute au Tonkin comme à Madagascar, à propos du canal de Suez comme dans l’affaire du tunnel de la Manche. Elle voit tout d’un mauvais œil, elle ne supporte pas même d’être contredite dans sa mauvaise humeur, et rien certes ne prouve mieux le danger de résister à un violent courant d’opinion en Angleterre