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Le capitaine de Magalon continua la guerre jusqu’au bout, jusqu’aux buttes Chaumont, jusqu’à Waterloo. Licencié comme « brigand de la Loire, » rejeté dans la vie civile, se rappelant ses campagnes et se remémorant ses hauts faits, il eut une sorte d’obsession dont il ne pouvait se délivrer. Le souvenir du soldat déserteur qu’il avait fait condamner à mort le poursuivait ; il était hanté par ce fantôme ; il s’imaginait que le sang était retombé sur lui et qu’il avait un crime à expier. Il résolut de consacrer aux malheureux les jours qui lut restaient à vivre. Il avait sans doute traversé les hôpitaux de Mayence empoisonnés par le typhus, par la peste de guerre ; sur les champs de bataille, il avait vu les blessés abandonnés, il les avait entendus crier dans les ambulances, il avait compté les ravages que la maladie, plus que le fer et le plomb, fait dans les armées en campagnes, il se souvint de l’œuvre de Jean-de-Dieu et voulut la reconstruire : il y réussit[1]. Il parla de son projet à deux hommes d’une foi ardente comme la sienne, et dont je ne sais pas les noms ; tous les trois voulurent faire revivre en France les vertus hospitalières où, pendant trois siècles, les infortunés avaient trouvé tant de secours. La vie religieuse les attirait et, pour se rendre aptes aux fonctions qu’ils comptaient exercer auprès des malades, ils firent un noviciat et entrèrent à l’hôpital de Marseille en qualité d’infirmiers. Des marins, des soldats noyés de déceptions par nos défaites, par le double écroulement de l’empire, par les difficultés mêmes de leur existence soupçonnée et surveillée, se groupèrent autour d’eux. La petite communauté fut bientôt composée de douze infirmiers volontaires qui, le 8 avril 1819, reprirent le costume des anciens frères de Saint-Jean-de-Dieu. Leur nombre s’accrut rapidement et bientôt ils furent préposés aux salles des hommes dans les trois hôpitaux de Marseille. L’œuvre renaissait, petitement, faiblement, comme à ses débuts, mais elle n’allait pas tarder à s’accroître. Les nouveaux frères prennent le service de l’hôpital de Salon, ouvrent un asile aux aliénés pauvres dans le département de la Lozère et dirigent l’infirmerie d’une des prisons de Lyon. Ils reçurent de Rome, en date du 20 août 1823, l’autorisation de se rétablir dans la « province de France » et fixèrent le centre de leur congrégation à Lyon, où ils fondèrent une maison pour le traitement des aliénés. On peut croire

  1. Ce fait m’a été raconté par M. le marquis de Quinsonas, qui a personnellement connu le capitaine de Magalon. Celui-ci était homme d’esprit. Pendant un séjour qu’il fît à Paris, sous la restauration, il passa dans la rue de La Harpe vêtu de son costume de moine hospitalier, des étudians l’entourèrent et le suivaient en l’accablant de quolibets ; il monta sur une borne et dit : « J’ai fait vœu de me consacrer au service des fous, messieurs ; je suis prêt à vous donner mes soins. » On se mit à rire, on applaudit, et il continua son chemin sans être inquiété.