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par l’éclat des couleurs, et non pas à représenter les objets régulièrement comme ils sont. » Ainsi décida l’Académie.

Une autre question, vers le même temps, ne fut pas moins vivement débattue : c’est la question de la couleur locale ou des mœurs, comme on disait alors, et comme on faisait bien de dire, attendu qu’en peinture le mot de couleur locale a un sens très déterminé, qui n’est pas du tout celui qu’on lui donne en littérature. Le siècle présent s’est libéralement décerné la louange d’avoir inventé la couleur locale. Au dire des préfaces romantiques, on ne saurait guère que depuis 1830 reconnaître Agamemnon d’avec Louis XIV, ou distinguer les temps entre la cour de Versailles, et celle d’Ecbatane ou de Persépolis. Peut-être, après cela, ne serait-il pas difficile de prouver aujourd’hui que l’Espagne d’Hernani n’a rien de plus espagnol que l’Espagne du Cid, ou que la Bataille du Granique, de Le Brun, est tout aussi grecque en son genre, et même orientale, que l’Entrée des croisés, d’Eugène Delacroix, est bosphorique et féodale. Mais ce n’en est pas le lieu. Tenons-nous-en à nos conférences, et bornons-nous à constater que dans l’Académie royale, toutes les fois qu’il s’agit d’une toile de Titien ou du Véronèse, on est à peu près unanime à y critiquer la disconvenance des sujets et de la manière décidément trop libre de les représenter. Lorsque Nocret prend pour matière de son discours les Pèlerins d’Emmaüs, il commence par déclarer que : « comme Paul Véronèse avait une façon de vêtir ses figures qui, d’ordinaire, n’était pas fort convenable aux sujets qu’il traitait, et que c’est en quoi on ne doit point l’imiter, il n’en parlerait point. » Lorsque Louis Boulogne, à son tour, parle sur la Vierge au Lapin, il n’omet de reprocher à Titien ni « d’avoir donné un habit de Vénitienne à sainte Catherine, qui devait être vêtue à la manière d’Égypte, pays de sa naissance et de son séjour, » ni d’avoir dans les fonds « représenté une ville et des clochers dont les aiguilles et la structure sont à la moderne, contre ce qui se pratiquait dans le siècle et la patrie de sainte Catherine, » ni d’avoir placé là « un berger à la tête d’un troupeau, et un lapin qui, au milieu d’un groupe de personnes sacrées, ne peut passer que pour une minutie. » Poussin lui-même n’échappe pas à ce genre de critique, et Jean-Baptiste de Champaigne se plaint avec vivacité que le maître « n’ait pas traité le sujet de son tableau avec toute la fidélité de l’histoire, » quand, s’étant proposé de peindre Éliézer et Rébecca, il a retranché de sa toile « la représentation des chameaux dont l’Écriture fait mention. »

Ces citations, que l’on pourrait multiplier, sont caractéristiques. C’est, au surplus, l’originalité de l’école française dans l’histoire de l’art que d’avoir accordé de tout temps une singulière importance à ce que l’on pourrait appeler la beauté rationnelle de la composition. Il ne nous suffit pas, comme aux Vénitiens, par exemple, et aux Hollandais, que les détails aient par eux-mêmes de l’agrément ou du prix ; nous voulons