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serviraient de préceptes aux écoliers. » Mais on avait tout sauvé quand on avait décidé que les résolutions de l’Académie « seraient accompagnées des raisons qu’elle aurait eues de se déterminer… et non pas exposées toutes simples et toutes nues au public, ainsi que des oracles que l’on serait obligé de croire. » Et comme c’étaient des peintres et des sculpteurs qui parlaient de leur art, les raisons de leurs « maximes » avaient tout d’abord été des raisons techniques, les seules qui soient véritablement instructives et les seules, par conséquent, qui soient de quelque prix. Car il est bien vrai que, comme on écrit pour être lu, de même, ou à peu près, on peint pour être vu, c’est-à-dire, dans l’un et dans l’autre cas, quoi qu’on en ait, pour être jugé par tout le monde ; mais il n’appartient qu’à la critique de motiver les jugemens de la foule, et elle ne le peut que par des considérans techniques. Une sculpture ne s’analyse pas comme une tragédie, ni un tableau ne se raconte comme un roman.

Cela ne veut pas dire, comme on affecte quelquefois de le croire, et comme l’amour-propre, au surplus, se le persuade fort aisément, que l’artiste soit seul juge de l’art ; mais cela veut dire que tout art a ses moyens d’expression qui n’appartiennent qu’à lui, et que ce sont des qualités de peintre qu’il faut, avant tout, demander au peintre. Le Brun, qui surchargeait ses figures de détails allégoriques, et par suite sa peinture d’intentions littéraires, fit un jour, sur le Ravissement de saint Paul, de Poussin, une conférence extrêmement curieuse, où il se donna la tâche de découvrir, selon ses propres expressions, « toute une théologie muette » dans la toile du maître. Les trois anges qui soutiennent le saint représentaient donc : le premier, l’effet de la Grâce prévenante ; le second, l’effet de la Grâce concomitante ; le troisième, l’effet de la Grâce triomphante ; et, jusque dans la couleur des draperies dont ils sont enveloppés, Le Brun prétendait discerner des rapports du rouge avec le triomphe, du jaune avec la concomitance, et du vert avec la prévenance. Mais, à la fin du discours, le peintre, l’homme de métier, l’artiste enfin ne pouvait heureusement s’empêcher de reparaître, et il concluait par ces mots : « Bien que j’aie donné à cette partie de la peinture dont je viens de parler l’honneur et l’avantage d’être toute spirituelle, je n’entends pas pour cela qu’on la considère comme une chose principale… Mais je veux dire que quand un tableau est bon en toutes ses principales parties…, s’il arrive que cette partie spirituelle s’y rencontre, alors elle donnera un grand éclat à tout l’ouvrage. » C’est cette « partie spirituelle, » on le sait, que, depuis Diderot, la critique d’art s’est surtout efforcée de mettre en relief. Mais ce sont ces « principales parties de la peinture, » au contraire, que les membres de l’Académie royale s’étaient proposé d’analyser et de définir dans les tableaux qu’ils expliquaient. Nocret, dans sa conférence sur les Pèlerins d’Emmaüs, me parait avoir bien exprimé le principe qui les