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fit des reliques. L’église honore ceux qui se sont consacrés à la servir et qui ont fait le bien en son nom : elle avait été trop glorifiée par Jean Ciudad pour ne pas l’élever au plus haut rang de ceux qu’elle vénère. Une enquête fut ouverte sur les faits relatifs à l’ancien berger d’Oropesa ; l’imagination populaire put les environner d’une auréole merveilleuse, ils n’en restent pas moins merveilleux par eux-mêmes et de prodigieux résultats ; la foi fait des miracles. « Le fou » de Grenade l’a démontré, cela suffisait. Il fut béatifié le il septembre 1630 par Urbain VIII ; la bulle de sa canonisation fut expédiée le 15 juillet 1691 par Innocent XII. Jean Ciudad est aujourd’hui saint Jean de Dieu.

Sa mort ne nuisit pas à son œuvre ; la légende s’était vite formée ; pour la foule, le pauvre homme qui avait tant besogné afin de secourir les malheureux était une créature privilégiée que la Providence avait favorisée d’une protection particulière ; c’était donc faire acte agréable à Dieu que d’aider au développement des instituts de bienfaisance que Jean Ciudad avait fondés. La charité royale, la charité privée, la charité publique, furent inépuisables ; on bâtit un hôpital à Madrid, que la cour commençait à habiter ; on en éleva un second à Grenade ; la réputation des nouveaux frères hospitaliers avait franchi la mer et les montagnes ; on en parlait en Italie et en France ; partout le nom de Jean de Dieu était répété ; Lope de Véga devait composer un poème sur son existence, Murillo peindre un des faits « miraculeux » de sa vie. L’ordre s’était multiplié et était devenu une congrégation. Par une bulle du 1er janvier 1571, le pape Pie V détermina le costume des frères de Saint-Jean-de-Dieu, les rattacha à la règle augustine ; aux vœux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance ils furent tenus d’ajouter celui de se consacrer au soulagement des malades. Grégoire XIII en attira un certain nombre à Rome ; il leur abandonna l’église de Saint-Jean Cabylite et fit construire un hôpital dont il leur confia la direction. De là ils rayonnèrent sur l’Italie, répétant sans cesse la phrase que leur fondateur avait coutume de prononcer : « Faites le bien, mes frères ! Fate bene, fratelli ! » Cette phrase devint leur surnom populaire ; je me souviens de les avoir entendu appeler ainsi à Rome en 1844. Ils avaient à Florence une maison qui prospérait. Lorsque Marie de Médicis s’assit, aux côtés de Henri IV, sur le trône de France, elle se souvint des frères hospitaliers qu’elle avait vus mendier aux portes pour nourrir les malades. ; elle en fit venir cinq à Paris en 1602. Ils s’établirent d’abord rue des Petits-Augustins, qu’ils furent forcés de quitter en 1607 pour céder la place à Marguerite, — la reine Margot, — qui voulait élever un hôtel sur le terrain qu’ils occupaient. Ils s’installèrent alors près de la chapelle de Saint-Pierre, que le langage du peuple appelait la petite chapelle des Saints-Pères. Il y avait