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changer de fétichisme, et, de l’aveu des missionnaires, c’est un cas qui se produit souvent chez leurs catéchumènes hovas, M. Sibree convient qu’à cet égard ils laissent beaucoup à désirer. Le nom qu’ils ont donné au christianisme veut dire « la religion qui prie, » et il en est plus d’un qui attribue à la prière une influence magique. Tel autre croit que les grâces dites avant le repas rendent la nourriture plus saine, plus profitable, et pour concilier le bienfait et la paresse, il se dispense de les dire en appelant une fois pour toutes la bénédiction du ciel sur sa provision de riz. Tel autre attribue à l’eau du baptême de si miraculeuses vertus qu’il demande à la boire. D’autres encore sont persuadés que le vin et le pain de riz de la communion procurent infailliblement le bonheur dans ce monde encore plus que dans l’autre, et pourvu qu’ils communient le premier dimanche de chaque mois, ils sont en règle, leurs péchés ne les inquiètent pas. Aussi sont-ils très friands des espèces consacrées, l’eau leur en vient à la bouche, et dans les transports de leur gourmandise on a vu des excommuniés, à qui la sainte table était interdite, chercher à la prendre de force ; ils se ruaient sur l’autel, qu’on eut peine à défendre contre leurs assauts. Que le fétiche soit un petit sac de sable ou un morceau de pain consacré, un fétiche est toujours un fétiche. Mais ne soyons pas trop sévères pour les Madécasses. Anglais ou Français, protestans, catholiques ou libres penseurs, beaucoup d’entre nous ont leur Manjakatsiroa et lui sont fort dévots.

Les Hovas ont assurément de grandes obligations aux missionnaires, et de leur côté les commerçans anglais doivent leur savoir beaucoup de gré des profits qu’ils leur procurent par les changemens qu’ils ont introduits dans les mœurs de Madagascar. S’ils s’étaient contentés d’enseigner aux Malgaches que deux amis qui se rencontrent ont meilleure grâce à se toucher dans la main qu’à se frotter le nez l’un contre l’autre, le commerce en eût retire peu de bénéfice. Mais ils leur ont appris à réformer leur costume, c’est là une révolution d’une bien autre conséquence. Les Malgaches s’habillent d’une grande pièce d’étoffe, nommée lamba, dans laquelle ils se drapent comme dans une toge, en laissant retomber un des pans sur leur épaule gauche. Le plus souvent ce lamba était un vêtement sordide, fabriqué en étoffe de chanvre ou de rofia. Partout où se formait une communauté chrétienne, on représenta aux nouveaux convertis que la régénération de l’âme devait se manifester au dehors par une régénération du costume, que les femmes devaient porter une robe de coton, les hommes une chemise et un pantalon, qu’il convenait que leur lamba fût désormais en cotonnade provenant d’une manufacture d’Angleterre. Les missionnaires anglais ont quelquefois une franchise un peu crue, ils ne se cachent pas de mêler aux choses du ciel les intérêts d’ici-bas et l’esprit des affaires à la piété.