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substituèrent-ils trop fréquemment aux élans de l’inspiration personnelle. Peut-être la généralisation des types, l’agrandissement du style, la préoccupation du grandiose, l’impersonnalité, altérèrent-ils le charmant naturalisme et l’individualité familière de l’école florentine. Le critique attentif et expérimenté auquel nous empruntons ces dernières remarques[1], croit retrouver la trace de cette influence dans certains traits particuliers, comme les plis de vêtemens plus réguliers et les corps moins sveltes, traits que l’antiquité romaine, à la différence de l’antiquité grecque, avait déjà connus. Même à la hauteur où le placera son génie, Raphaël laissera distinguer dans ses œuvres le passage de l’une à l’autre inspiration, de l’école florentine à l’école romaine.

Rome ne conserve-t-elle pas un témoignage vivant du caractère et de la date même de ces influences renouvelées ? Elles s’accusèrent surtout pendant le pontificat de Paul II : or c’est lui qui a élevé ce formidable palais de Saint-Marc, aujourd’hui le parlais de Venise. Comment les artistes italiens du XVe siècle en sont-ils venus à édifier cette forteresse, qui semble vouloir rivaliser par sa masse imposante avec les œuvres des anciens Romains ? C’était la demeure d’un seul homme, mais d’un prince de l’église romaine. Par ses créneaux et sa tour inachevée, il appartient encore au moyen âge ; par ses arcades intérieures et ses piliers, il imite l’antiquité classique. Cette ampleur et cette exubérance ne se retrouvent pas au même temps dans les autres parties de l’Italie ; elles font prévoir à la fois les grandeurs et les dangers de la seconde renaissance, qui sera en grande partie romaine. — Il y a plus : un accord singulier entre ses goûts personnels et le moment qu’il représentait avait inspiré, ce semble, à Paul II, qui d’ailleurs était Vénitien, un goût ardent, ce n’est pas assez dire, une réelle convoitise pour les joyaux aux vives couleurs, pour les perles, les bijoux et les pierres précieuses : elles dominaient par l’éclat ; et le nombre dans les collections, d’une incroyable richesse qu’il sut former, images de la passion de luxe et de splendeur dont la cour pontificale était animée. Le peuple romain en ressentait lui-même un respect superstitieux. Quand Paul II mourut subitement, en 1471, le bruit courut dans Rome qu’il avait été étranglé par les démons emprisonnés dans les chatons de ses bagues ; le biographe pontifical, moins crédule, estime que le poids des joyaux qui ornaient la tiare du saint-père lui avait causé une attaque d’apoplexie.

La création d’un musée proprement dit, tel que celui du Capitole, et la construction de la chapelle Sixtine, achevèrent sous Sixte IV le

  1. Louis Courajod, la Statue de Robert Malatesta au musée du Louvre (1883, Champion).