Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi parfaitement qu’avec le prix qu’ils en tireront, ils seront mis à même de s’en procurer d’autres aux environs, dont la croissante plus-value ne tardera pas à les indemniser largement. Nous croyons volontiers que cette façon d’envisager la situation qui leur est faite se généralisera chez les indigènes en proportion de la fréquence de leurs contacts avec la population européenne. Il y a déjà progrès marqué sous ce rapport. Ce ne sera pas en vain, il faut l’espérer, que, dans son dernier discours au conseil supérieur, M. Tirman aura promis « de n’avoir recours à l’expropriation qu’après avoir assuré aux anciens propriétaires des ressources équivalentes aux sacrifices qui leur seront demandés. » Certaines lenteurs dans le paiement des indemnités dues pour expropriation et quelques abus qu’il a regrettés et dénoncés lui-même ne seront plus pour se reproduire, si nous en croyons la réponse, qu’au mois de février dernier, le ministre de l’intérieur de cette époque s’est fait un devoir d’adresser, par l’intermédiaire de son secrétaire d’état, à la commission du sénat, qui lui avait renvoyé la pétition d’un ancien caïd arabe. Des développemens dans lesquels M. Develle est entré à ce sujet il résulte « que les indigènes expropriés ne sont pas, comme plusieurs personnes étaient portées à le supposer, à la merci d’un jury exclusivement compose d’Européens et, par conséquent, supposé partial. Même en cas d’urgence, ils ont toujours le droit de porter leurs réclamations, d’abord devant le président du tribunal, ensuite devant le tribunal lui-même, qui ont seuls qualité pour régler les divers intérêts en cause et désigner les experts chargés d’estimer les immeubles et de déterminer les sommes à consigner[1]. » Quant à la valeur attribuée jusqu’à présent aux terres que l’administration a dû se procurer pour la colonisation, le tableau dressé par ses soins établit que l’hectare acheté à l’amiable, de gré à gré, pour la colonisation, lui aurait coûté en moyenne un peu moins de 49 francs, tandis qu’elle aurait payé plus de 56 francs les terres acquises par l’expropriation. Depuis cette époque, les terres ont dû augmenter de valeur, mais je n’ai pas ouï dire qu’il y ait eu rien de changé et que les proportions indiquées aient été modifiées. Voilà, autant qu’on peut s’en rapporter aux moyennes, de quoi faire tomber beaucoup de préventions. A propos de l’expropriation des indigènes pour cause de colonisation, il y a donc lieu de se tenir à égale distance des opinions extrêmes et préconçues. Sur cette question, comme sur toutes celles que nous avons traitées jusqu’ici, comme pour tout ce qui regarde l’Algérie, il n’y a pas de règles absolues ; c’est, avant tout affaire de mesure et de bonne conduite.

  1. Annexe au feuilleton du sénat n° 34 (séance du jeudi 19 avril 1883, pétition n° 87).