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l’administration. « Il ne faut pas perdre de vue, écrit le gouverneur-général, que, si l’administration a le devoir de faciliter l’installation en Algérie d’une nombreuse population française, elle n’en a pas moins à respecter les intérêts de la population indigène. Nous ne devons songer à livrer au peuplement français d’autres terres que celles constituant en quelque sorte le superflu des détenteurs actuels, et amener ainsi sinon une fusion complète, tout au moins une juxtaposition profitable à tous[1]. Voyons maintenant quel pouvait être, non pas d’une extrémité de l’Algérie à l’autre, mais dans les localités d’un même département (celui d’Alger par exemple), l’effet très différent produit sur les indigènes par la perspective de l’expropriation. « Si l’on veut coloniser largement la Kabylie, affirmait le rapporteur de la commission des centres pour l’arrondissement de Tizi-Ouzou, sans reculer devant les mesures indispensables au succès de la colonisation et à la sécurité du pays, il faut transporter en masse les indigènes dépossédés loin de leur pays d’origine et leur ôter tous moyens d’y revenir. Cette mesure devrait s’appliquer, sans distinction, tant aux Kabyles qui ont fait preuve d’hostilité contre nous qu’à ceux qui n’ont témoigné aucune haine, mais chez qui cette haine se développera par le seul fait de la dépossession dont ils seront victimes… Dans le cas où l’on adopterait un programme de colonisation plus restreint, les premiers territoires à coloniser seraient ceux qui ont été précédemment étudiés par les commissions des centres ; cette population, dont le chiffre ne s’élève pas à moins de 10,000 âmes, est précisément celle qui nous est le plus hostile ; il y aura donc nécessité de la transporter loin de la Kabylie pour qu’elle n’y répande pas la haine contre la France[2]. »

Mais voici que, dans d’autres arrondissemens relevant aussi de la préfecture d’Alger, les dispositions des indigènes semblent être entièrement différentes. Aux environs d’Affreville, région où le gouvernement se propose de fonder plusieurs villages, il est avéré, si l’on s’en fie aux témoignages des personnages les plus considérables et les plus dignes de foi, que les Arabes détenteurs du sol et dont la propriété a été définitivement constituée à la suite de l’enquête, n’aspirent qu’à voir ces villages fondés le plus prochainement possible. Les plus aisés se sont rendu compte que, s’ils sont expropriés d’une partie de leurs terres, la valeur de celles qui leur resteront en sera considérablement augmentée ; quant à ceux dont les modestes parcelles pourraient être intégralement absorbées par la création des centres nouveaux, ils comprennent

  1. Instructions du gouverneur-général transmises par M. le préfet d’Alger au sous-préfet de Tizi-Ouzou, janvier 1882.
  2. Extrait du rapport de la commission des centres pour l’arrondissement de Tizi-Ouzou.