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pour de longues années, l’une des principales préoccupations de la politique de la France surtout au moment où, elle semble aspirée à prendre un peu partout le rôle de grande puissance coloniale. De notre attitude vis-à-vis de la population arabe de l’Algérie on peut dire avec raison qu’elle a passé par des phases bien diverses. Un temps est venu après la guerre, où nos généraux qui avaient légitimement pris la haute main dans la direction des affaires de notre colonie africaine, se sont, avec la générosité naturelle à notre race française, laissés aller à témoigner une prédilection presque avouée pour des adversaires qu’ils avaient glorieusement vaincus. L’empereur partagea leur engouement, et de là cette vision éphémère du royaume arabe. Depuis 1871, depuis surtout qu’à Alger l’autorité supérieure a été remise à un gouverneur d’origine purement civile, une réaction évidente s’est produite. Elle s’est encore accentuée dans ces derniers temps à la suite de la mesure dont se félicitait naguère M. Tirman et qui a placé tous les indigènes indifféremment sous la dépendance d’agens également civils. Nos préfets et nos sous-préfets envoyés de France et continuellement renouvelés tous ces nombreux commissaires civils qu’il a fallu recruter à la hâte parmi un personnel assez défectueux, afin d’administrer les immenses territoires soustraits du jour au lendemain dans le Tell à la domination militaire, connaissent peu les mœurs, les habitudes et les dispositions d’esprit des tribus arabes qu’ils sont appelés à gouverner. Ils sont loin d’être animés à leur égard des sentimens de complaisance (les malveillans ont dit de fâcheuse partialité) qu’on a reproché à nos généraux et aux officiers des bureaux arabes d’entretenir pour leurs administrés indigènes. A coup sûr, il n’est pas à craindre que les ordres des nouveau-venus qui les remplacent ne soient pas obéis. Partout où elle a été jusqu’à présent appliquée, la transition d’un régime à l’autre s’est, en effet, opérée sans difficultés apparentes et sans troubles appréciables. Mais si l’obéissance n’a point fait défaut, le prestige, il faut en convenir, manque absolument à ces administrés en frac qui ont la malchance ; aux yeux d’une population guerrière fort sensible aux manifestations extérieures de la puissance matérielle, de n’être pas revêtus de cet uniforme militaire qui a toujours été pour elle le signe du commandement. Il est donc impossible, étant données les circonstances que je viens d’indiquer de n’être pas quelque peu effrayé de la mise à exécution sur une très grande échelle, si la loi des 50 millions est adoptée, de mesures qui, bien plus que celles présentées pour la constitution de la propriété indigène, sont de nature, dans le cas où elles ne seraient pas appliquées avec d’extrêmes précautions, à causer une grande perturbation dans nos possessions ? algériennes et à susciter parmi les indigènes les germes d’un profond mécontentement. Je