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prit qu’une seule séance, les membres du conseil eurent grand soin de ne pas traiter trop longuement les questions purement théoriques précédemment élevées au sujet de la distinction à établir entre les propriétés possédées au titre arch, et celles possédées au titre melk. Ces appellations arabes ayant jeté la confusion dans les arrêts des tribunaux, on convint que la langue juridique n’admettrait plus désormais d’autre dénomination que celles de terres possédées, les unes à titre individuel, les autres à titre collectif, et chacun y ayant ainsi mis du sien, le projet de loi élaboré par la commission fut définitivement adopté par les membres du conseil supérieur. Les sages transactions étaient, de vieille date, entrées dans leurs habitudes. Ils étaient gens de trop d’expérience pour vouloir tirer des principes qu’ils adoptaient leurs conséquences extrêmes. Telle était également la disposition d’esprit du nouveau gouverneur-général. Déjà, l’occasion lui avait été donnée de faire preuve de la judicieuse réserve qu’il entendait garder dans l’application des mesures dont l’exécution lui serait confiée. Au cours des récens débats sur la constitution de la propriété indigène, les deux généraux commandant les divisions militaires d’Alger et d’Oran avaient dû faire remarquer que, si l’indivision des terres devait cesser partout à la fois, il en résulterait pour certaines tribus algériennes une irréparable injustice. Ces tribus, improprement appelées nomades, étaient obligées de parcourir de vastes espaces et de se déplacer fréquemment afin de pourvoir à la nourriture de leurs troupeaux, leur unique richesse, le retour des saisons les ramenant d’ailleurs toujours aux mêmes lieux. Pour elles, la division de la propriété, c’était la ruine. A ces sages observations M. Tirman n’avait point manqué de répondre, avec l’assentiment des membres du conseil supérieur, qu’il n’y avait nulle inquiétude à concevoir sur le sort de ces tribus. « C’était à lui, d’après les termes mêmes de la loi, qu’il appartenait de désigner les circonscriptions territoriales dans lesquelles il devra être procédé aux opérations prescrites pour la constitution de la propriété. L’administration avait donc le droit et, par conséquent, le devoir de ne pas appliquer la loi là où cette application serait rendue impossible par les conditions mêmes de l’existence des indigènes[1]. »

Prendre d’infinies précautions afin de ne pas froisser les sentimens, les habitudes, les préjugés, si l’on veut, des 2,500,000 musulmans que nous comptons comme sujets en Algérie, et de leurs 1,500,000 coreligionnaires dont le protectorat de la Tunisie va nous confier la direction et la responsabilité, voilà quelle devrait être,

  1. Procès-verbaux du conseil supérieur (session de novembre 1882, p. 497).