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constituent le fait paléoethnique le plus considérable que l’on soit en droit d’enregistrer. Le Nil et la mer de Syrie à l’occident, la Haute-Arménie et la Caspienne au nord, l’Indokouch et l’Indus à l’est, au sud la mer d’Arabie, circonscrivent la région où Kouschites, Sémites et Aryens, ceux-là agriculteurs, industriels, fondateurs de villes, les seconds pasteurs, les derniers montagnards, puis émigrans et envahisseurs, se sont heurtés, coudoyés, mélangés, tour à tour dominateurs ou dominés, inventant les arts et l’usage des métaux, apprenant à s’armer, à s’organiser hiérarchiquement, atteignant l’idéal par la religion, possédant avec l’écriture, d’abord hiéroglyphique, puis idéographique, l’instrument le plus puissant dont l’intelligence humaine puisse disposer. Dès lors, l’histoire se trouve inaugurée, et par elle, une chaîne désormais continue relie les générations socialement organisées, habitant des villes et obéissant à des lois, à celles qui leur succéderont jusqu’à nos jours.

En constatant ces origines de l’histoire pour rentrer aussitôt dans notre sujet, n’oublions pas ce que nous avons établi plus haut, que c’est en se localisant, et par une harmonie préalable de la race et du milieu, celui-ci favorisant la première et l’excitant à développer les aptitudes dont elle portait en elle les germes féconds, que les tribus humaines sont parvenues à affirmer leur supériorité. Mais ce mouvement, ou plutôt ce travail localisateur, a été nécessairement précédé d’un mouvement expansif, d’une marche entraînant l’humanité à la surface du globe et lui en faisant occuper tous les points. Cette migration originaire, jusqu’à présent inexpliquée plutôt qu’inexplicable, réclame d’autant plus notre examen qu’en cherchant à tourner la question, au lieu de l’aborder de front, on est venu se heurter à des barrières en apparence infranchissables.


III

Deux des trois masses continentales se trouvent donc soudées ensemble à l’intérieur de la zone boréale. Par suite de cette soudure qui correspond à la direction de l’Oural, l’Europe n’est qu’une dépendance de l’Asie, et la diffusion primitive de l’homme à travers ces deux continens a soulevé d’autant moins d’objections que les traditions religieuses plaçaient en Asie le berceau du genre humain, d’où il se serait répandu sur toute la terre, immédiatement après le déluge. Les difficultés s’accumulent au contraire lorsqu’au lieu de l’ancien continent, on considère l’Amérique, où d’un bout à l’autre l’homme se trouve représenté par des races dont l’unité a frappé les meilleurs observateurs. Non-seulement l’homme américain avait inauguré sur le sol du Nouveau-Monde une civilisation originale et relativement avancée, mais il y a laissé, principalement vers le nord, des traces