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n’admettrait pas pour partenaire dans un casino, pousse les gens par les épaules à sa partie de baccarat ? Est-ce parce qu’à brûle-pourpoint, dans une de ces fêtes, elle demande au comte la main de Georgette pour son frère ? Toujours est-il qu’ainsi expliqués les événemens se précipitent ; avec quelle brutalité, on ne pouvait le prévoir : était-ce donc là ce que promettait l’aimable philosophie de ce titre, la Vie facile ? Ce n’est plus la Vie facile, c’est la Vie enragée, car une manie furieuse produit seule de si absurdes transports. M. de Trévisan, trompant la surveillance de Montgiraud, a conduit Georgette, pour ses débuts dans le monde, chez Mme de Valféras. Montgiraud, en redingote, se précipite au milieu du bal pour emmener Georgette ; la marquise veut la retenir ; elle coupe la retraite à Montgiraud, et, pour discréditer son intervention, lui reproche la vie de parasite qu’il mène depuis quinze ans chez le comte : en quels termes ? Avec les paroles dures, avec les sifflemens et les grincemens d’une Arsinoé de l’Ambigu. Montgiraud se tourne vers Hector : « Votre sœur paie vos dettes de jeu ; payez-vous ses dettes d’insolence ? » Mais, depuis le commencement de cette scène, tandis que le Claverot se tenait à la droite du théâtre, un jeune avocat, amoureux de Georgette et approuvé de Montgiraud, se tenait à la gauche ; ce n’était pas pour rien : il s’avance, l’avocat, et déclare qu’il prend la place de Montgiraud dans ce duel. Patience ! le carambolage n’est pas achevé ; Trévisan, à son tour, descend du fond de la scène, non pour couvrir son vieil ami contre l’injure de sa donzelle, non pas même pour pacifier le débat ou le déplorer et s’écrier au moins comme le Gondremarck de la Vie parisienne : « Collision regrettable ! » Non, Trévisan n’est pas si peu fou ; il prend à son compte la querelle de Claverot, l’honneur du frère et de la sœur, il se battra contre l’avocat qui s’est fait le substitut de Montgiraud !

« Ils étaient quatre, qui voulaient se battre, » dit la chanson populaire ; ils sont quatre, en effet, mais aucun ne se bat. Remettons-nous de cette alarme ; au troisième acte, une scène assez bien filée réunit Trévisan et Montgiraud, qui se donnent la main. Cependant le comte refuse à l’avocat cette fille qu’il ne veut pas reconnaître et qui ne sait même pas qu’elle est sa fille. Montgiraud, pour en finir, s’avise d’un expédient qui dénoue la pièce : il court à la mairie prochaine avec deux témoins, il reconnaît Georgette. Montgiraud, l’avocat et Georgette mèneront une heureuse vie de famille ; Trévisan, débarrassé de sa fille, débarrassé de son ami, roule dans les filets de l’aventurière. La crise aboutit à l’aggravation de la maladie, qui va s’achever hors de scène. Après ce tournant, après cette secousse, le train de la vie facile s’accélère et s’emporte : Bon voyage, Trévisan ! Adieu, au diable !

C’est dommage, assurément, que la comédie de MM. Albéric Second et Paul Ferrier n’ait pas tenu les promesses de son titre, ou du moins celles de son premier acte. Les amis de la littérature dramatique s’en