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Pour être un peu gros, ce trait n’est pas moins juste : il s’agit, en effet, de montrer quelle sorte de père est Trévisan, de quelle spéciale qualité ses sentimens doivent être et de quelle manière spéciale ils s’expriment. Ida de Barancy, la mère du Jack de M. Daudet, n’est pas une sainte qui fasse dire :


Tombe aux pieds de ce sexe à qui Jack doit sa mère ;


ce n’est pas non plus une méchante mère : c’est l’espèce de mère que peut être une femme de son caractère et de ses mœurs. De même, Trévisan ne sera pas un père de famille : — il n’a pas de famille ; — ce ne sera pas non plus un père dénaturé, mais quelqu’un entre les deux : un père naturel qui mène la vie facile. D’ailleurs, puisque l’auteur n’a pas seulement l’intention d’exposer une anecdote comme Barrière, mais d’écrire une comédie de mœurs, — le titre en fait foi, — et de montrer sur le théâtre une classe de nos contemporains, il devra faire grouiller autour de ce père et de cette fille divers types de cette classe : ce sera une comédie à la Dancourt, ayant pour centre un personnage où l’auteur emploiera, nous l’espérons, sa plus fine psychologie.

Dans ce premier acte, à vrai dire, les caractères de la « vie facile » ne sont indiqués que par des touches un peu banales et molles ; l’atmosphère du drame n’est pas composée comme par un chimiste rigoureux ; on parle beaucoup de clubs, de courses, de baccarat et de Champagne, sans qu’il soit fait un emploi particulier de ces accessoires ordinaires de la vie parisienne au théâtre. D’autre part, le personnage central n’est qu’assez bien esquissé. Pourtant les intentions de l’auteur sont droites ; il est permis d’attendre la suite sans trop d’inquiétude.

La suite, ou plutôt la fin, après des péripéties dont le détail fera l’intérêt de l’ouvrage, sera-ce la conversion du père, comme dans le Feu au couvent ? La grâce de Georgette sera-t-elle la plus forte ? Sera-t-elle efficace au point de ramener le comte, dans l’espace de deux actes, à une existence plus sérieuse, à la contrainte acceptée du devoir, à l’amour de ces difficultés qui font la valeur morale de la vie ? Beaucoup de gens y comptaient. L’impénitence finale du héros, — au moins sur la scène française, — est scandaleuse dans une comédie ; dans une tragédie on l’admet, parce qu’on l’y peut voir punie de mort ; dans la comédie, la conversion est de rigueur. Un de mes amis se trouvait l’an dernier dans un de ces lieux de pèlerinage où se font des miracles que l’église tolère quand elle n’a pu d’abord en réprimer l’imprudence. Tout à coup il entend des cris ; une dame qui priait auprès de lui se penche à son oreille et lui dit : « C’est une muette de naissance qui vient d’être guérie. — Vous la connaissez ? — Non,