Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/935

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que nous soyons dans mon château du Northumberland. Un fond de cachot me vengera de tout. Cependant Edward semblait perdu. Personne, dans le public, ne croyait qu’il osât braver jusqu’au bout sa puissante adoratrice. On comptait sans l’amour, qui donne de l’esprit aux filles, sous tous les régimes. Le dieu malin inspira à Constance, pour sauver son cousin, une ruse diabolique. Elle demanda officiellement la main du comte de Chester à sa tutrice, en alléguant que la loi par laquelle les garçons étaient contraints au mariage leur laissait le choix entre les diverses prétendantes. Elle ajoutait que son intention était de soumettre la cause au parlement, afin de fixer une fois pour toutes la jurisprudence. Les gens d’ordre gémirent en apprenant cette nouvelle et blâmèrent Mlle de Carlyon ; ils devinaient qu’on allait agiter le pays. L’église orthodoxe ne se méprit pas sur la portée de l’interpellation et poussa des cris de colère ; elle avait eu la complaisance de retourner l’ancien dogme et de déclarer la suprématie de la femme d’institution divine, elle n’entendait pas qu’on vint lui demander de changer une seconde fois sa doctrine ; la foi s’accommode mal de ces variations. Le pays éprouvait un malaise profond. Sur toute la surface du royaume s’élevait un grand murmure où l’on ne distinguait que ces quatre mots : « Les jeunes aux jeunes ! » Le moins expérimenté sentait qu’il y avait de la révolution dans l’air. En effet, la Nature était résolue à ne pas tolérer plus longtemps un arrangement social où ses lois étaient violées. Elle était le grand meneur qui poussait l’homme à la révolte.

A cet endroit du récit, un changement complet, demeuré inexpliqué, s’opère dans l’esprit de l’auteur, M. Walter Besant. La sympathie qu’inspirent ses idées ne doit pas empêcher de reconnaître que, dans la première moitié de son volume, il est d’une partialité criante pour son sexe et d’une sévérité outrée pour l’autre. Est-ce remords, est-ce crainte de subir le sort d’Orphée chez les Thraces, est-ce indifférence d’un esprit sceptique ? Nous l’ignorons. Toujours est-il que M. Walter Besant, arrivé au moment critique de l’action, adore ce qu’il avait brûlé. Ce farouche contempteur du beau sexe fait amende honorable de ses impertinences. Il attribue aux femmes tout le bon sens, tout le sang-froid, toute la malice, pour ne laisser aux hommes que la force brutale. C’est une femme, Mme Dorothée, professeur à l’Université de Cambridge, qui a noué les premiers fils du complot destiné à renverser le gouvernement. Ce sont des femmes qui ont préparé les voies en inondant le pays de brochures anarchistes où les délices du vieux temps sont dépeintes avec un art perfide ; on y voit les filles florissant parmi les plaisirs et les travaux faciles, les garçons travaillant et obtenant pour récompense des fiancées jeunes et fraîches. Ces lectures enflammaient l’imagination de la jeunesse anglaise. Plus d’une écolière, en