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les enfans, faisaient la cuisine, et leur caractère avait gagné sensiblement à ces habitudes paisibles.

Au premier abord, ces derniers détails paraîtront invraisemblables au lecteur. Une minute de réflexion le convaincra que le nouveau régime n’avait pas de conséquence plus inévitable. Quand les femmes n’auront plus le temps ou le goût d’être mères de famille, il faudra bien que les hommes tâchent à les remplacer, et c’est pourquoi, — soit dit en passant, — un grand nombre d’entre eux considèrent de mauvais œil, en France même, les nouveaux systèmes d’éducation féminine. Ils ne reprochent pas aux lycées de filles ce qu’on y apprend, ils leur reprochent ce qu’on n’y apprend pas et ce qu’on y désapprend. Ils ne voient pas péril en la demeure à ce qu’une jeune personne sache quelques bribes d’algèbre et de chimie, ils ont même l’impertinence de trouver la chose en soi assez indifférente ; ils en veulent à l’algèbre et à la chimie des heures qu’elles dérobent aux travaux d’intérieur. Ils remarquent que la sollicitude ministérielle n’a pas réservé un seul moment de la journée pour enseigner à la jeune fille à rester chez soi et à s’y plaire, ce qui est pourtant un talent plus essentiel à son bonheur et au bonheur des siens que de savoir résoudre une équation, — fût-ce du second degré. Ils ont un obscur pressentiment qu’il lui paraîtra rebutant, après avoir conquis des parchemins universitaires, de manier le balai ou de s’asseoir derrière un comptoir, et les bienfaits de l’état lui font peur pour elle. Ils calculent que les classes peu aisées sont destinées par nos mœurs à fournir la principale clientèle des lycées de filles, que tout le monde ne peut pas être institutrice, et ils se demandent si on ne nous prépare pas ce que les gymnases de filles ont donné à la Russie et commencent à donner à Berlin : des générations de déclassées. Ainsi pense tout ce qui craint qu’on ne nous gâte ce que la France produit de meilleur, la petite bourgeoise française, laborieuse et économe, reine des ménagères, et si gentille par-dessus le marché ! Les réponses des promoteurs des lycées, quand on leur soumet ces objections, ne sont pas toujours rassurantes. Quelqu’un demandait à l’un d’eux quel avenir ses projets préparaient aux élèves de l’état : — Un abîme ! s’écria avec feu cet homme de sens ; un abîme ! — Son interlocuteur se tut ; il n’y avait rien à dire à cela.

Les Anglaises du XXIe siècle exagéraient la prudence, et pour cause, dans les matières d’éducation. Leur propre expérience les avait instruites, et elles se gardaient d’éveiller chez leurs époux des aspirations propres à les dégoûter de leur humble destinée ; elles avaient trop peur d’une contre-révolution. Le temps épargné sur les classes était consacré à développer chez les garçons la grâce et la vigueur du corps : Sous le gouvernement des femmes, les Anglais étaient devenus en quelques générations la plus belle race d’hommes du monde, ce