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sur la population mâle, pour l’Angleterre et l’Ecosse réunies, est d’environ un million. C’est dire que la terre britannique est encombrée de vieilles filles. Une légende nationale les occupe dans le ciel à découper des étoiles. En attendant, elles voudraient gagner leur pain et conquérir leur indépendance. C’est une véritable lutte pour l’existence. Les Anglais résistent vigoureusement, en grande partie, il faut le dire, par la crainte égoïste que la concurrence féminine n’augmente l’encombrement des carrières, mais ils se sentent si peu en sûreté qu’ils commencent à écrire des livres sur le temps où l’homme aura été détrôné. Un de leurs écrivains les plus distingués et les plus spirituels, M. Walter Besant[1], s’est diverti à peindre la société britannique au XXIe siècle dans un pamphlet intitulé : la Révolte de l’homme [2], dont les extravagances recouvrent un grand fonds de sagesse pratique. C’est le royaume de la fantaisie et le règne du bon sens. Malgré l’énormité de la bouffonnerie, les applications sautent aux yeux et nous croyons que, même pour des oreilles françaises, la leçon s’entendra à demi-mot.

Dans la société de l’avenir, entrevue par M. Walter Besant un jour de cauchemar, la femme prend sa revanche du passé : elle opprime l’homme. M. Walter Besant s’en indigne. A mon sens, il a tort. L’homme ne s’est pas fait faute d’abuser du pouvoir pendant qu’il l’avait ; pourquoi la femme n’en abuserait-elle pas à son tour quand elle le pourra ? Il était dans l’ordre des choses et dans la nature humaine que les Anglaises se vengeassent des Anglais dès que ceux-ci leur en auraient fourni les moyens en votant la grande réforme de l’égalité des deux sexes devant la loi.

Les représailles commencèrent avec l’entrée des femmes au parlement. Dès les premiers débats où elles intervinrent, les hommes furent écrasés par le sentiment de leur propre infériorité. Ce n’est pas que les argumens portés à la tribune par les oratrices fussent meilleurs que ceux des orateurs ; les mauvaises langues prétendaient même qu’ils étaient moins solides et que la passion y prenait la place de la logique ; mais c’étaient là propos de réactionnaires méritant peu de créance. La vérité est que les femmes maniaient les armes redoutables qu’on nomme en style parlementaire les « personnalités » avec une audace et une dextérité qui laissaient leurs adversaires abasourdis. Les hommes n’étaient pas de force à lutter. Le découragement et l’impatience se mirent dans leurs rangs. Un jour que la séance était devenue particulièrement pénible, les députés mâles des deux chambres quittèrent la salle en masse. Ce fut une grande faute. Demeurée maîtresse du

  1. M. Walter Besant vient de publier une excellente biographie du professeur Palmer, assassiné par les Bédouins pendant la campagne d’Egypte.
  2. The Revolt of man. Londres, Blackwood.