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dessein les différences qui séparent des diverses tribus humaines aussitôt que l’on néglige les passages et les nuances intermédiaires.

En France, M. de Quatrefages, dans ce recueil d’abord, et plus tard dans un livre justement estimé sur « l’espèce humaine, » s’est fait le défenseur éloquent de la doctrine monogéniste. Adversaire résolu du transformisme, il s’est efforcé de détruire la plupart des argumens par lesquels Darwin et ses disciples ont soutenu que l’homme n’avait pas échappé à la loi universelle et qu’il avait dû sortir de quelque forme antérieure graduellement modifiée. Bien que les conséquences tirées des idées darwinistes, considérées à tort ou à raison comme entachées de matérialisme, aient été jusqu’ici combattues avec acharnement par la plupart des spiritualistes, elles étaient loin pourtant, sur le point principal, celui de l’unité de l’homme, d’exprimer un désaccord soit avec les données de M. de Quatrefages, parlant au nom de ceux qui croient à l’existence objective de l’espèce, soit avec les traditions bibliques qui font descendre l’homme d’un seul couple primitif. Pour admettre la polygénie, il faut affirmer, à l’exemple d’Agassiz, que, par l’effet d’un renouvellement de la vie préalablement détruite, un certain nombre de régions mères ont produit chacune des espèces particulières d’animaux et de plantes, ou bien soutenir, ainsi que cela ressort du livre de Carl Vogt[1], que, sur plusieurs points à la fois, divers pithéciens auraient donné naissance à des formes anthropoïdes, d’où les principales races humaines seraient finalement dérivées. Mais l’une ou l’autre de ces hypothèses conservent bien peu d’adhérens convaincus. Les races humaines ont trop d’affinités réciproques, puisqu’elles sont incontestablement fécondes entre elles, pour qu’on n’incline pas à, préférer une formule scientifique de nature à concilier les deux tendances en réalisant l’accord de la variété dans l’unité. D’autre part, cette unité du point de départ originaire, aboutissant aux si profondes différenciations physiques, intellectuelles et morales que nous avons sous les yeux, comment la concevoir ? L’homme, et le même homme, si l’on fait abstraction du contour, de la taille, de la couleur, c’est-à-dire de ce qui, chez lui comme chez les animaux, est accessoire et accidentel, si l’on fait abstraction également des aptitudes dépendant de l’exercice des facultés qui relèvent de la pensée, en un mot de ce qui tient à l’âme, l’espèce humaine ainsi comprise s’est avancée jusqu’aux extrémités du monde habitable, et, remarquons-le, elle ne s’est pas avancée récemment, ni déjà pourvue des ressources que

  1. Leçons sur l’homme, sa place dans la création et dans l’histoire de la terre, par Carl Vogt, seizième leçon.