Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/883

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

municipal[1] qu’elle lui rappelait les ordonnances de Colbert, où les fils de la trame des draps et des toiles étaient comptés. Les marchands de vin furent les plus actifs et les plus bruyans ennemis du laboratoire. lis tinrent des réunions où ils se posèrent en victimes, et se déclarèrent décidés à ne pas se laisser étrangler sans protester. Ils eurent l’honneur d’avoir pour présidens de ces réunions des hommes politiques considérables. Dans celle qui a eu lieu récemment au Cirque d’hiver, M. Lockroy les a félicités d’avoir été appelés les cantiniers de l’émeute ; il nous a appris que, pendant les périodes funestes qui ont commencé le 24 mai et le 16 mai, l’émeute siégeait au sénat et dans le gouvernement, tandis que la justice, la liberté et une foule d’autres divinités dépossédées n’avaient plus d’autre refuge que le comptoir des marchands de vin. Feu Gambetta, dans toute sa gloire, n’avait pas dédaigné d’assister à un banquet de ces industriels. Et, s’il m’en souvient bien, à ce banquet, comme à la réunion du Cirque, on avait voté un ordre du jour de flétrissure contre les esprits bornés et de mauvaise foi qui traitent l’honnête mouillage de falsification. On accorde que l’addition des substances vénéneuses est blâmable ; il est mal d’empoisonner son prochain par esprit de cupidité ; mais ce n’est pas falsifier le vin que d’y mettre de l’eau. Le droit de mouillage fait partie de nos libertés. Il n’est pas inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme ; il est venu après : c’est une conquête postérieure, qu’il ne faut pas se laisser arracher.

Il paraît d’ailleurs qu’après avoir payé l’entrée à Paris, vendre du vin à quatorze sous le litre n’était pas possible. M. Rousselle, qui, après M. Yves Guyot, attaquait le laboratoire, l’a fait remarquer au conseil municipal. Aucun acheteur ne doit plus ignorer, après les déclarations de M. Rousselle, qu’à ce prix modique, il ne saurait exiger du vin. C’est de l’eau rougie à quatorze sous. Mais l’eau rougie ne fait pas de mal. L’ordre du jour qui termine les réunions de ces industriels, qui persistent à vouloir s’appeler des marchands de vin, réclame toujours la révision de la loi de 1851, et la distinction entre les fraudes nuisibles à la santé et celles qui sont inoffensives. Celles-ci ne seraient plus des fraudes. Nous avons dit qu’une telle distinction existait dans la loi anglaise ; mais ce n’est pas de cette façon que l’entendent les falsificateurs. Les deux genres de fraude sont punis en Angleterre, et c’est justice. Le mouillage n’est pas dangereux, mais c’est un vol, quand il n’est pas avoué. Aucun marchand n’offre du vin mouillé ; au contraire, c’est presque toujours une bouteille de bon bordeaux qui est annoncée par l’enseigne

  1. Séance du 27 décembre 1882.