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quinine. La fraude sur le sulfate de quinine est très fréquente, et elle a un caractère particulièrement odieux. Ce n’est pas assez d’avoir trompé sur la qualité des alimens, d’avoir vendu aux pauvres, aux ouvriers, qui ont besoin de toutes leurs forces, qui vivent du travail de leurs bras et ne peuvent pas payer cher, du vin mêlé d’eau et rougi à la fuchsine, des conserves empoisonnées de cuivre, et d’affreuses liqueurs qui ruinent l’estomac et stupéfient le cerveau. L’homme est malade ; il tremble la fièvre et claque des dents sur un lit d’hôpital. Il a l’angoisse physique de son mal ; il a l’âme torturée par une angoisse morale bien plus douloureuse ; il pense que, si son mal se prolonge, des siens vont mourir de faim, il y a un remède à ce mal, remède qui peut rapidement remettre l’homme sur pieds, apaiser, chasser la fièvre qui le mine, lui permettre de reprendre son travail, lui rendre un peu d’aisance ou, au moins, d’espoir. Et ce remède, on va le lui donner frelaté et malhonnête ! on va offrir à ce malade, en le flattant par de vaines paroles. de confiance, une drogue mensongère et sans vertu. On va voler ce mourant. Et que va-t-on lui voler ? Peut-être sa vie.

Ce ne sont pas là de vaines phrases, et cela se fait tous les jours. Hâtons-nous de dire que, d’après tous les auteurs qui ont écrit sur les falsifications, le sulfate de quinine français est généralement pur. On considère comme une garantie suffisante la marque des deux ou trois grandes maisons où ce produit est fabriqué en France, Mais les traités de commerce n’empêchent pas l’entrée des sulfates de quinine étrangers, et il y a toujours des précautions à prendre contre l’empoisonnement international. On trouve dans les paquets de sulfate de quinine falsifié, de l’acide borique, des carbonates de chaux et de magnésie, du phosphate de soude, des sulfates de soude, de magnésie et de chaux, du nitrate de potasse. Puis des matières organiques ; oxalate d’ammoniaque, acides benzoïque et stéarique, stéarine, glucose, sucre de lait, mannite, fécule, salicine, acide salicylique et salicylate de soude. Enfin, on substitue au sulfate de quinine des corps de composition analogue, mais moins coûteux, et sans propriétés médicinales, les sulfates de cinchonine et de quinidine.

On voit que d’efforts et de recherches la falsification a coûtés et que de science il a fallu mettre au service d’une malhonnête entreprise. Peut-on imaginer un savant indigne, dans un de ces laboratoires qui devraient toujours être des sanctuaires où l’on interroge la nature et où l’on cherche la vérité, s’ingéniant à cacher ses tromperies, à masquer ses mensonges, et, en somme, à mettre dans les mains du médecin qui demain s’évertuera à combattre la maladie et la mort, une arme fêlée, inutile, brisée d’avance ! Il est vrai qu’il