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que des liqueurs pures de tout mélange. Que serait-il advenu s’il leur eût traîtreusement versé de l’absinthe verdie par le sulfate de cuivre, bien saturée de résine, afin de donner dans l’eau un beau précipité ; du rhum fabriqué avec de l’alcool de betteraves, additionné d’acide et d’éther formiques ; du vermouth à l’acide chlorhydrique ou à l’acide sulfurique : les deux variétés se trouvent sur la place ; du kirsch tiré des feuilles de laurier-cerise et contenant par litre jusqu’à 22 centigrammes d’acide prussique, au lieu de la proportion normale de 4 à 5 centigrammes ? M. Dujardin-Beaumetz eût peut-être été poursuivi par la Société protectrice des animaux, qui protège même les porcs, mais qui ne protège pas le pauvre Coupeau.

L’expérience a prouvé que l’alcool ne rendait pas les animaux malades. Dans les autres liqueurs, même de bonne qualité, on trouve divers produits de synthèse organique qui leur donnent leurs goûts caractéristiques. Ce sont en général des aldéhydes : la chimie appelle ainsi des corps composés, comme les alcools, de carbone, hydrogène et oxygène, avec une plus faible proportion d’hydrogène.

Ces produits ne se trouvent pas dans l’eau-de-vie ou, du moins, leur quantité y est tout à fait imperceptible. On pourrait donc boire de l’eau-de-vie avec moins d’inconvénient que d’autres liqueurs, si elle n’était pas frelatée. Mais l’industrie du faux n’aurait eu garde de négliger un produit de consommation si répandu. Dans les journaux spéciaux que lisent les marchands de vins, — j’entends les journaux de commerce et non de politique, — on voit en grosses lettres des annonces ainsi conçues : « Bouquet de Cognac, directement extrait de la vigne. » Ce bouquet, c’est une essence qui se débite en petites bouteilles, et dont l’odeur ressemble étonnamment au parfum d’une vieille eau-de-vie. Il paraît que les négocians allemands recherchent beaucoup ces fioles parfumées. L’emploi qu’ils en font est simple. Ils achètent aux fabricans de Cognac beaucoup plus d’eaux-de-vie que les vignes de Cognac n’en produisent chaque année. On leur fournit du trois-six de toute provenance qui est baptisé cognac, porte l’étiquette, et emprunte le parfum du fameux bouquet extrait de la vigne. Malheureusement le bouquet est extrait, non de la vigne, mais de la pharmacie. C’est de l’huile de ricin traitée par l’acide sulfurique ; — les éthers gras qui se forment ont l’odeur du cognac. Oui, la drogue qui fait la terreur des enfans malades, et l’affreux vitriol, qui venge les Arianes abandonnées, voilà les élémens que des industriels sans conscience ont osé associer pour tromper d’honnêtes gens après leur dîner.