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quitta quelques années après Créteil, où il avait acheté une propriété, et se retira à Francfort-sur-le-Mein. Il s’y remaria et il y mourut le 6 juin 1851, à l’âge de quatre-vingt-un ans. Ses père et mère s’étaient éteints en 1811.

Revenons en arrière. Le comte de Vergennes était mort le 13 février 1787. Le choix de son successeur n’était pas facile. Pendant treize ans, M. de Vergennes avait dirigé et inspiré la politique française ; sans laisser la réputation d’un grand ministre, il avait constamment fait preuve de sagesse et de capacité. Il avait mené à bien la guerre d’Amérique ; il avait, en restant au pouvoir, donné un démenti au mot de Rulhière, qui définissait son mérite une médiocrité imposante, et, au total, il avait relevé la France de l’abaissement où l’avait laissée la guerre de sept ans. L’héritage était lourd à porter. Ce fut de son propre mouvement que Louis XVI nomma M. de Montmorin ministre et secrétaire d’état aux affaires étrangères. Il lui était attaché et ce choix ne fut le résultat d’aucune intrigue. M. de Saint-Priest était désigné par l’opinion de la cour ; la reine lui était favorable, mais le roi avait des préventions contre lui. Il sentait au contraire dans Montmorin beaucoup de ses propres vertus et aussi quelques-uns de ses défauts. Il devinait que celui-ci serait dévoué avant tout et jusqu’au bout.

Le nouveau ministre au début fut comme effrayé de sa tâche. Il pria Louis XVI de lui retirer les provinces, l’administration de l’intérieur, qu’avait aussi le comte de Vergennes ; elles furent en effet jointes au département du baron de Breteuil. La Gazette du 18 février annonce que le comte de Montmorin a prêté serment entre les mains du roi et trois jours après qu’il a eu l’honneur de faire ses révérences à la reine et à la famille royale. Le 23, il assistait à l’ouverture de l’assemblée des notables ; on ne voit pas qu’il ait pris part à leurs délibérations.

Si Calonne avait pensé qu’il fallait s’emparer des esprits en les frappant par un acte audacieux, tous ses projets étaient affaiblis par son caractère et par ses vices. Il n’avait pas remplacé l’appui de M. de Vergennes par celui des autres ministres, qu’il avait systématiquement délaissés. Il ne les consultait ni sur ses plans, ni sur ses démarches ; à peine leur lisait-il la veille ce qui devait être dit le lendemain dans les comités. Piqués d’être mis à l’écart, ils étaient peu disposés à seconder une besogne à laquelle ils n’avaient eu aucune part. Les clairvoyans ou les désabusés voyaient sans frayeur s’avancer l’orage à grands pas. Pour tous les hommes superficiels dont se composait la cour, qu’importaient les réformes proposées, mais aucunement préparées ? La chute du ministère était la chose essentielle. Calonne succombait six semaines après l’ouverture de l’assemblée des notables.