Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/839

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la nécessité de connaître le vœu de l’Espagne, l’intime alliée de la France et très intéressée, du reste, à la question par ses propres colonies. Pour se disculper auprès de l’empereur Joseph II, M. de Vergennes lui avait fait communiquer, comme éclaircissement de sa conduite, un mémoire où l’on rapprochait, quoiqu’il n’y eût pas une véritable analogie, la situation de la France sous Henri IV à l’égard des Provinces-Unies et celle de Louis XVI à l’égard des Américains. Le mémoire tendait à prouver qu’il fallait se borner à une trêve entre l’Angleterre et la France. Ce plan avait été le même jour envoyé à Madrid. La cour de Londres, présumant que la tenue d’un congrès à Vienne éprouverait de grandes lenteurs, essaya de traiter directement avec la cour de Versailles. Le comte de Vergennes avait mis Montmorin dans la confidence de ces ouvertures ; il voulait rejeter aux yeux de l’Europe l’avance des premières propositions pacifiques sur l’Angleterre.

La confiance entre les deux souverains de la maison de Bourbon était entière. Les dépêches échangées en témoignent. Lord North quittait sur ces entrefaites le ministère et était remplacé par lord Shelburn et M. Fox. Comme il s’était montré zélé dans les rangs de l’opposition pour la cause américaine et qu’il était de plus l’ami personnel de Franklin, lord Shelburn lui avait envoyé un membre du parlement, M. Oswald, porteur d’une lettre de créance et de propositions satisfaisantes pour la paix. Franklin avait refusé toute ouverture qui séparait la cause de l’Amérique de celle de la France et avait fait sentir à l’envoyé anglais que la paix ne pouvait se traiter sans notre intervention. M. Oswald, après s’être muni d’instructions plus précises, s’était alors présenté chez le comte de Vergennes et avait ouvert officiellement des conférences. Il fallait obtenir de la cour d’Espagne une complète adhésion à cette politique. Montmorin y réussit. Lord Granville, frère de lord Temple, arriva en France et, le 10 janvier 1783, les préliminaires de la paix étaient signés à Paris entre la France et la Grande-Bretagne d’une part, l’Espagne et la Grande-Bretagne de l’autre. Le 3 septembre suivant, l’indépendance des États-Unis était solennellement reconnue.

Les services éminens de Montmorin furent récompensés par l’offre de la grandesse, qu’il refusa, et par la Toison d’or. Louis XVI le nommait maréchal de camp et chevalier du Saint-Esprit. Lorsque le comte d’Artois et le duc de Bourbon avaient traversé l’année précédente l’Espagne, allant au siège de Gibraltar, ils avaient été heureux de se mettre sous la tutelle de Montmorin et d’être dirigés par lui. Depuis que la maison de Bourbon régnait en Espagne, c’était la première entrevue de ce genre, et Charles III, en recevant les deux