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par suite d’une alliance avec les Montboissier, seigneurs du Pont-du-Château. Par son mariage, Armand de Montmorin ajoutait à sa fortune personnelle les fiefs de Tallende et de Chadieu, des Martres et de Mouton. Il devenait un des grands propriétaires de la province. Mlle de Tanes, plus riche que son cousin, était plus âgée de deux années. Elle était loin d’être belle ; si son portrait est fidèle, elle était haute en couleur, d’une taille robuste, avec des yeux sombres et une force de volonté que trahit le bas du visage osseux et accentué, ambitieuse et fine, comme les races de montagne ; son esprit n’était en rien distingué ; elle fut néanmoins pour son mari d’un excellent conseil, le servit dans toutes les négociations difficiles et le fortifia dans son dévoûment absolu à Louis XVI. Le comte de Montmorin était au contraire de petite taille, d’un tempérament nerveux jusqu’à l’excès, et ne payait pas de mine. Il était laborieux, appliqué et, sous une apparence de bonhomie, cachait une réelle habileté. De ce mariage naquirent quatre enfans, deux filles et deux fils ; l’aînée, Victoire, fut mariée en 1787 au vicomte de La Luzerne, fils du ministre de la marine ; la cadette était Pauline ; Auguste, officier de marine, périt en 1702 dans une tempête en revenant des Indes ; le dernier enfant, Antoine-Hugues-Calixte, devait par une fin héroïque, à vingt-deux ans, honorer le nom qu’il portait.

Admise à la cour, d’abord en qualité de dame pour accompagner les tantes du futur roi, Victoire, Sophie et Louise, Mme de Montmorin disposa vite d’une sérieuse influence ; elle utilisa sa parenté avec la duchesse d’Havre, dont la fille venait d’épouser M. de Tanes, gentilhomme de la chambre du roi de Sardaigne. Dès son avènement au trône, Louis XVI nomma son ancien menin ministre près l’électeur de Trêves, et Mme de Montmorin dame d’atours de Madame Sophie, en remplacement de la comtesse de Périgord. Peu de temps après, janvier 1778, Armand de Montmorin était envoyé ambassadeur en Espagne en remplacement de M. d’Ossun. M. de Maurepas avait convoité ce poste pour une de ses créatures ; afin de parvenir à ses fins, il avait débité et fait débiter que M. d’Ossun était aussi incapable qu’infirme. Le roi devint donc persuadé qu’il ne pouvait plus le laisser sans inconvénient à Madrid, et comme il avait depuis longtemps l’envie de donner une brillante situation à Montmorin, il le prévint de sa nomination. Une querelle s’éleva alors entre Louis XVI et Maurepas. Le vieux mentor, vivement affecté de la ténacité de son souverain, sur lequel il avait jusqu’à ce moment exercé un empire absolu, insistait en disant : « Puisque telle est votre intention, sire, elle sera suivie ; mais il serait bon du moins que M. de Montmorin allât à Madrid sans caractère pendant quelque temps pour que M. d’Ossun pût le mettre au courant des affaires. — Mais, monsieur de Maurepas, répliqua le roi,