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guerre de la Péninsule. Ces troupes devaient débarquer sur les bords des lacs et se porter immédiatement en avant dans l’espoir de surprendre la ville avant qu’elle eût été mise en état de défense. Elles arrivèrent en effet le 8 décembre sur les bancs de sable qui bordent le fleuve, s’embarquèrent sur une flottille de bateaux plats et pénétrèrent le 14 dans le lac Borgne, après avoir capturé les canonnières américaines qui devaient leur en interdire l’accès. Le premier soin de Jackson, dès qu’il fut informé de l’approche de l’ennemi, fut de s’assurer la liberté la plus absolue d’action : il proclama en conséquence la loi martiale et suspendit l’habeas corpus. Il lui eût été fort difficile de justifier par une disposition de la constitution ou d’une loi quelconque ces mesures que quelques jours auparavant la législature avait refusé d’adopter. Le droit de suspendre la liberté individuelle dans les états restés fidèles à l’Union a été dénié par la cour suprême au président Lincoln au plus fort de la guerre de la sécession, et il a fallu un acte du congrès pour attribuer à l’avenir ces pouvoirs exceptionnels au premier magistrat de la république. Mais nous avons vu déjà que Jackson se faisait gloire de n’être gêné par aucun « scrupule constitutionnel, » et, quelques semaines plus tard, il n’hésitait pas, pour vaincre les velléités de résistance de la législature, à faire occuper militairement la salle de ses séances.

Sous cette rude dictature militaire, la ville prit tout à coup l’aspect d’un camp. Les hommes valides de toute condition et de toute couleur furent appelés à servir comme soldats ou comme marins ; les vieillards et les infirmes formèrent un corps de vétérans affectés à un service d’ordre et à la garde des forts. Les rues retentissaient du chant de la Marseillaise et du Yankee Doodle. Les femmes applaudissaient de leurs balcons au passage des troupes ; on remarquait particulièrement les cavaliers de l’Ouest qui venaient d’arriver à marches forcées de Baton-Rouge : le général Coffee qui les commandait, attirait les regards, d’après le témoin que nous avons déjà cité, par son aspect martial, sa stature herculéenne, et la bonne grâce avec laquelle il montait un pur sang du Tennessee.

Le 18, le général en chef passa toutes les troupes en revue et leur adressa une proclamation rédigée par Livingston et dans laquelle il faisait appel au patriotisme de tous :

« Enfans des États-Unis ! disait-il, ce sont les oppresseurs de votre nouvelle existence politique que vous avez à combattre ; ce sont les hommes que vos pères ont vaincus… Enfans de la France ! ce sont les Anglais, les ennemis héréditaires et éternels de votre ancienne patrie, les envahisseurs de votre patrie d’adoption, qui