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sons ; mais nous sommes entourés par une nuée d’enfans robustes, avec des yeux pleins de feu et d’intelligence. Ils sont curieux et importuns ; c’est leur défaut ordinaire ; mais au moins ils ne tendent pas la main, comme à Tivoli, où tout le monde est meûdiant. Dans ce pays perdu, le sang s’est conservé pur ; ce sont les restes d’une forte et fière race qui entra pour une bonne part dans la fortune de Rome.

Si Roccagiovine, comme on peut le croire, est bâti sur l’emplacement du Fanum Vacunœ, c’est par là que devait être l’entrée du domaine d’Horace. Nous continuons donc à monter, en inclinant vers la droite, par un chemin pierreux, qu’ombragent de temps en temps des noyers et des chênes. Devant nous, sur les pentes de la montagne, s’étendent des champs cultivés, avec quelques habitations rustiques. Rien n’apparaît à l’horizon, où l’on puisse reconnaître les ruines d’une maison antique, et nous sommes incertains d’abord pour savoir de quel côté nous devons nous diriger. Mais nous nous souvenons qu’Horace nous dit qu’il y avait, auprès de sa maison, une fontaine qui ne tarissait pas, qualité rare dans les contrées du Midi, et qui était assez importante pour donner son nom au ruisseau dans lequel elle se jetait[1]. Si la maison a disparu, la fontaine au moins doit subsisti r, et, quand nous l’aurons trouvée, il nous sera facile de fixer la place du reste. Nous suivons une petite route qui passe à côté d’une vieille église en ruine, la Madonna délie case, et un peu plus bas nous arrivons à la source que nous cherchons. Les gens du pays l’appellent Fonle dell’Oratini : est-ce le hasard qui lui conserve un nom si voisin de celui du poète ? Dans tous les cas, il est bien difficile de ne pas croire que ce soit celle dont il nous a parlé. Il n’y en a pas de plus importante dans le voisinage ; elle sort avec abondance d’un creux de rocher et un vieux figuier la couvre de son ombrage[2]. Je ne sais si, comme le prétend Horace, « ses eaux font du bien à l’estomac et soulagent la tête, » mais elles sont fraîches et limpides ; autour d’elle, le site est charmant, tout à fait propre à la rêverie, et je comprends que le poète ait mis parmi les momens les plus heureux de sa journée

  1. M. Pietro Rosa fait remarquer qu’encore aujourd’hui la Licenza ne prend ce nom qu’à partir du moment où elle reçoit l’eau de la petite fontaine. Jusque-là, on l’appelle seulement il Rivo. Voyez l’intéressante notice que Noël Des Vergers a placée en tête du charmant petit Horace de Didot.
  2. C’est tout à fait ainsi qu’Horace a dépeint la fontaine de Bandusie. Il parle « de ce chêne placé au dessus du rocher creux d’où jaillit l’onde babillarde. » On sait aujourd’hui que Bandusie était située dans l’Apulie, près de Venouse. Mais il est bien possible qu’Horace ait donné à la petite source qui coulait près de sa maison le nom de celle où il s’était souvent désaltéré dans sa jeunesse, quand il n’avait pas quitté son pays natal. La ressemblance entre le paysage décrit dans l’ode d’Horace et le site réel de la fontaine dell’Oratini rend cette hypothèse fort vraisemblable.