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III.

Nous savons maintenant comment Horace devint propriétaire de sa maison de campagne ; il nous reste à faire connaissance avec le pays où elle était située, à chercher s’il mérite ce qu’en a dit le poète, et par quelles qualités il a dû lui plaire.

Elle était, nous l’avons vu, dans le voisinage de Tivoli. Le chemin qui y mène est l’ancienne via Valeria, une des voies romaines les plus importantes de l’Italie, qui conduisait dans le territoire des Marses. La route suit l’Anio et traverse un pays fertile, entouré de hautes montagnes, au sommet desquelles se dressent quelques villages, de vrais nids d’aigles, qui de loin paraissent inabordables. De temps en temps, on rencontre des ruines d’anciens monumens et l’on foule quelques débris de ce pavé romain sur lequel ont passé tant de peuples sans pouvoir le détruire. En trois ou quatre heures on atteint Vicovaro, qui, comme je l’ai dit plus haut, était autrefois Varia, la ville importante du pays. Là, il faut quitter la grand’route pour prendre à gauche un chemin qui suit les bords de la Licenza. De l’autre côté du torrent, un peu plus haut que Vicovaro, on aperçoit Bardela, gros bourg avec un château qui de loin a bonne apparence. C’était un village dont Horace nous dit qu’on y frissonnait de froid : rugosus frigore pagus. L’abbé Gapmartin de Chaupy a cru remarquer qu’en effet la campagne y est quelquefois envahie par des brouillards qui descendent des montagnes voisines. Il nous dit qu’un jour qu’il était en train de dessiner, « il se sentit saisi par derrière d’un froid également piquant et subit ; » mais comme il est suspect de partialité pour Horace et qu’il veut que toutes les affirmations de son poète chéri se vérifient à la lettre, on peut le soupçonner d’avoir mis dans son frisson un peu de complaisance. J’y suis passé au mois d’avril, vers midi, et j’ai trouvé qu’il y faisait très chaud. Quand on a dépassé Bardela, à un détour du chemin, on voit à gauche Roccagiovine : c’est un des villages les plus pittoresques du pays, perché sur un rocher pointu qui semble s’être détaché de la masse de la montagne. La route est rude pour y arriver ; et, pendant que je me fatigue à la gravir, je comprends à merveille l’expression d’Horace qui nous dit qu’il est forcé pour revenir chez lui « d’escalader sa citadelle. »

Ici se rencontre un point de repère qui va nous servir à nous diriger. Dans une épître charmante qu’Horace adresse à l’un de ses meilleurs amis pour lui faire savoir combien il aime la campagne, et qu’il ne regrette, de tous les biens de Rome, que le plaisir de le