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PROMENADES ARCHÉOLOGIQUES.

rampes de l’Apennin, sur le bord de la mer, il ne manque pas de sites agréables et sains ; c’est là que les Romains d’aujourd’hui vont passer le temps de la malaria. Horace les a sans doute visités aussi ; mais il avait ses préférences, qu’il exprime avec beaucoup de vivacité : ce qu’il mettait au-dessus de tout le reste, c’était Tibur et Tarente, deux pays fort éloignés, très différens, mais qu’il semble unir dans le même amour. Il est probable qu’il y est souvent retourné ; et, quoique nos goûts changent avec l’âge, nous avons la preuve qu’il est resté fidèle jusqu’à la fin à cette affection de sa jeunesse.

Malgré ces pérégrinations annuelles, qui l’amenaient quelquefois aux extrémités de l’Italie, je me figure qu’Horace fut longtemps un ami assez tiède de la campagne. Il ne possédait pas encore de villa qui lui appartînt, et peut-être il ne le regrettait guère. Il prenait part volontiers aux distractions de la grande ville et ne s’en éloignait, comme nous venons de le voir, que dans les mois où il est difficile d’y rester. Un moment arriva pourtant où ces voyages, qui n’étaient qu’une distraction, un agrément de passage, devinrent pour lui une impérieuse nécessité, où la vie de Rome lui fut si importune, si odieuse, qu’il éprouva le besoin, comme son ami Bullatius, de se cacher dans une bourgade déserte, « d’y oublier tout le monde et de s’y faire lui-même oublier. » Ce sentiment est très visible dans quelques endroits de ses œuvres, et il est fort aisé de voir d’où il lui était venu.

Au lieu de gémir sur les mésaventures qui arrivent, ce qui ne mène à rien, un homme avisé cherche à en tirer un bon parti, et ses malheurs passés lui servent de leçon pour l’avenir. C’est, je crois, ce qu’a fait Horace. Les premières années qui suivirent son retour de Philippes durent être fécondes pour lui en réflexions et en résolutions de tout genre. Il s’est représenté à cette époque sur son petit lit de repos, songeant aux choses de la vie et se disant : « Comment dois-je me conduire ? Qu’ai-je de mieux à faire ? » Ce qu’avait de mieux à faire un homme qui venait d’éprouver un mécompte aussi fâcheux, c’était assurément de ne pas s’y exposer de nouveau. Le désastre de Philippes lui avait beaucoup appris. Désormais il était guéri de l’ambition. Il reconnaissait que les honneurs coûtent cher, qu’en entreprenant de faire le bonheur de ses concitoyens on risque le sien, et qu’il n’y a pas de sort plus heureux que de se tenir loin des fonctions publiques. C’est ce qu’il prit la résolution de faire lui-même ; c’est ce qu’il recommandait sans cesse aux autres. Sans doute ses grands amis ne pouvaient pas tout à fait renoncer à la politique ou abandonner le forum : il leur conseillait au moins de s’en distraire par momens. À Quiniius, à Mécène, à Torquatus, il disait : « Donnez-vous donc quelque loisir ; laissez