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PROMENADES ARCHÉOLOGIQUES.

ques mois et y restent toute leur vie. Quand il se fut décidé à retrouver la maison d’Horace, il n’épargna pas sa peine[1] ; il parcourut presque toute l’Italie, étudiant les monumens, lisant les inscriptions, faisant parler les gens du pays, cherchant de ses yeux quels sites répondaient le mieux aux descriptions du poète. Il voyageait à petites journées sur un cheval qui, s’il faut l’en croire, était devenu presque antiquaire à force d’être conduit aux antiquités. Cet animal, nous dit-il, allait de lui-même aux ruines sans avoir besoin d’être averti, et sa fatigue semblait cesser quand il se trouvait sur le pavé de quelque voie antique. Du récit de ses courses, des résultats où ses travaux obstinés l’avaient conduit, Capmartin de Chaupy a composé trois gros volumes de près de cinq cents pages chacun. C’est beaucoup plus que ne comportait la question ; aussi ne s’est-il pas imposé la loi de s’enfermer dans le sujet qu’il traite. La maison de campagne d’Horace n’est pour lui qu’un prétexte qui lui donne l’occasion de parler de tout. Il a écrit comme il voyageait, s’arrêtant à chaque pas et quittant à tout moment la grand’route pour s’enfoncer dans les chemins de traverse. Il ne nous fait grâce de rien ; il éclaire en passant des points obscurs de géographie et d’histoire, relève des inscriptions, retrouve des villes perdues, détermine la direction des anciennes voies. Cette façon de procéder, qui était alors fort à la mode parmi les érudits, eut pour Chaupy un très grave inconvénient. Pendant qu’il s’attardait ainsi en chemin, on faillit lui enlever l’honneur de sa découverte. Un savant de Rome, de Sanctis, qui avait entendu parler de ses travaux, se mit sur la même piste, et, le gagnant de vitesse, ce qui n’était pas difficile, publia sur cette question une petite dissertation que le public accueillit favorablement. Ce fut un grand chagrin pour le pauvre abbé, qui s’en plaignit avec amertume. Heureusement ses trois volumes, qui furent bientôt en état de paraître, mirent l’opinion de son côté, et aujourd’hui on ne lui conteste guère la gloire, dont il était si fier, d’avoir découvert la maison de campagne d’Horace.

Voici en quelques mots comment il s’y prend pour démontrer aux plus incrédules qu’il ne s’est pas trompé. Il établit d’abord qu’Horace n’avait pas plusieurs domaines ; lui-même nous dit qu’il ne possède que le bien de la Sabine et que ce bien lui suffit : satis beatus unicis Sabinis. Il s’ensuit que toutes les descriptions qu’il a faites se rapportent à celui-là et doivent lui convenir. Ce principe

  1. Il faut dire aussi que Capmartin de Chaupy était passionné pour Horace. Il avait la manie de vouloir tout retrouver dans son auteur favori. Il vécut assez pour assister à la révolution française, et l’on dit qu’elle ne le surprit pas. Horace lui avait appris à la prévoir, et il montrait volontiers les endroits de ses ouvrages où elle était prédite en termes exprès.