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qu’il règne dans la politique intérieure, dans les conseils du gouvernement comme dans le parlement, qu’il se manifeste sous toutes les formes, qu’il aille jusqu’à rabaisser à son usage les idées les plus élevées, jusqu’à changer le sens des mots pour déguiser ses œuvres. A y regarder de près, en effet, il s’accomplit depuis quelque temps dans la langue politique une révolution si étrange, qu’on finira bientôt par, ne plus s’y reconnaître ; on ne s’entendra plus ! Autrefois, ce mot de libéralisme, si souvent employé dans les débats de la tribune et de la presse, avait une signification généreuse. Il s’appliquait à toute revendication d’une garantie nouvelle, d’un droit, d’une liberté. Aujourd’hui les habiles ont appelé cela une « guitare. » Pour certains républicains, le libéralisme s’accommode fort bien de la violation de toutes les libertés, de toutes les garanties. Pourvu qu’on désarme des adversaires ou qu’on serve le parti, on ne craint nullement de recourir aux procédés discrétionnaires de tous les régimes du passé, ou d’introduire l’arbitraire dans les lois nouvelles. Il y a eu un temps où ce mot de réforme exprimait toujours l’idée d’une large et sérieuse amélioration, d’un progrès dans les institutions, dans l’organisation politique, sociale ou administrative. A l’heure qu’il est, il s’agit avant tout de satisfaire des intérêts ou des passions de parti. On vient de le voir une fois de plus par cette loi, qu’un euphémisme complaisant appelle encore une loi de réforme judiciaire et qui, en ce moment même, est vivement discutée au Palais-Bourbon. Elle avait sombré l’an passé, cette loi, dans toute sorte d’incohérences où l’on avait fini par se perdre ; elle a reparu récemment sous une forme nouvelle avec la complicité du ministère. C’est tout simplement le plus vulgaire expédient de parti décoré du titre de réforme.

Assurément, — c’est une pensée qui n’est pas nouvelle, qui n’est pas non plus le monopole d’un parti, — si l’on voulait réaliser dans l’administration de la justice des améliorations sérieuses, réellement profitables pour le pays, rien ne serait plus légitime. On aurait pu, en maintenant l’indépendance de la magistrature, qui est la garantie des justiciables, en la fortifiant même par des conditions nouvelles de capacité, chercher les moyens de simplifier la procédure, de diminuer les frais de justice, de ramener le nombre, l’organisation des cours et des tribunaux aux nécessités d’une situation qui s’est modifiée avec le temps. C’était possible, c’est toujours désirable. Malheureusement l’œuvre ne laisse pas d’être difficile, et M. le garde des sceaux, qui, dans un élan de zèle, avait commencé par présenter trois projets, l’un sur la réforme du personnel judiciaire, l’autre sur la création d’assises correctionnelles, le troisième sur l’extension de la compétence des justices de paix, M. le garde des sceaux lui-même a fini par trouver que ce serait trop compliqué. Il en est bientôt venu à se mettre d’accord avec une commission de la chambre pour arriver, — à quoi ? C’est bien