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cette époque de trouble et de fièvre, L’admirable possession de soir même dont le Journal politique national porte témoignage à chaque page. Rivarol, assurément, ne ménage pas ses adversaires, mais il n’est jamais passionné dans l’injure, et l’on a vu rarement la haine plus maîtresse de ses vengeances. À peine le dirait-on contemporain des événemens qu’il raconte. Son journal, encore aujourd’hui, se lit comme une histoire. Les accidens y sont vus et jugés de haut, avec le calme d’un observateur impartial. Évidemment il croit encore, à cette date, que « les bêtises du conseil, » et les « sottises de la cour, » sont pour autant, sinon peut-être plus, dans la révolution, que le « fanatisme de l’assemblée » et les « passions du peuple. » Il continue donc aussi de croire qu’il ne dépendrait que d’une « tête vraiment politique » de réparer les « bêtises » des uns, de brider les « passions » des autres, et il n’est pas très éloigné de penser intérieurement, que cette tête politique est la sienne.

La naïveté de son petit machiavélisme éclate en plein dans les Mémoires qu’il remit, au cours de l’année de 1791, à M. de la Porte, intendant de la liste civile. On était à la veille de l’aventure de Varennes. M. de Lescure les analyse longuement et n’a pas de peine à montrer la puérilité des moyens que Rivarol y propose pour le salut de la monarchie. Peut-être seulement, tout en le disant, n’a-t-il pas assez fortement marqué ce qui se mêle là de fatuité politique et de corruption morale aux théories les plus paradoxales et les plus inconsistantes, C’est un léger défaut de ce livre consciencieux que le blâme, presque toujours et presque partout nettement indiqué, s’y perde, en quelque sorte, et s’y noie sous l’amoncellement des éloges. M. de Lescure a du moins souligné les traits de prétention qui échappent à Rivarol, et qui nous le montrent ayant tout prévu, et tout pu prévenir, si l’on l’en avait écouté. « L’effroi de la banqueroute ayant nécessité un remède aussi violent que les états-généraux, comment le roi ne s’aperçut-il pas d’abord que M. Necker le trompait ? Je communiquai cette observation à M. le comte d’Artois, qui promit, d’en faire part à Sa Majesté. - Vers les premiers jours de juillet, je proposai au maréchal M Broglie et à M. de Breteuil un parti décisif… Le duc d’Orléans, à qui je fis craindre cette démarche, en fut tellement effrayé que je vis le moment où ce prince allait se jeter aux pieds du roi… Enfin j’ai dit à M. de Lessart qu’il me semblait urgent que Sa Majesté fit au peuple le sacrifice de tout ce qu’on appelle aristocrates. » On le voit, si le comte d’Artois, si le maréchal de Broglie, si M. de Breteuil, si M. de Lessart eussent profité des avis de Rivarol, il ne doute pas qu’il les eût sauvés, et la monarchie avec eux. Toutefois, il n’est pas question de récriminer, mais, d’agir ; il donnera donc encore une fois son avis. Si tous les partis que l’on a pris jusqu’ici ont été mauvais, c’est qu’on