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Pendant que le phylloxéra continue à étendre son voile sinistre sur le beau pays de France, la vigne américaine jette ça et là un rameau d’espérance. Heureuse la terre qui en l’accueillant saisit la fortune au passage ! c’est ce rameau qui fera reculer le désert et la stérilité sur les inconsciens qui défendent vainement un passé qui leur échappe, car les moyens chimiques, même s’ils étaient utiles, ne sont qu’exceptionnellement pratiques. Pendant que ces persévérans de la ruine poursuivent leur chimère, la vigne américaine recouvre de ses flots de verdure la dernière trace de nos malheurs ; mais, ne partageant ni l’inconstance des flots ni l’aveuglement de la fortune, elle s’étendra, rapide et bienfaisante, sur les clairvoyans qui auront volé à sa rencontre, laissant ceux qui l’auront repoussée se repentir dans la pauvreté. Ils s’apercevront trop tard que Time is money et jamais ces retardataires ne ramèneront sur eux les vagues d’or qui commencent à déferler sur les premiers vendangeurs. J’entends les incrédules me dire : « Vous êtes orfèvre, monsieur Josse ! » Mais non, j’oublie sincèrement que je puis être parmi ces audaces heureux, lorsque j’appelle à la fortune ceux qui ne savent pas encore la voir dans la vigne américaine. Nous savons maintenant que même des espèces à résistance discutée ont résisté jusqu’ici ; que même les clintons de M. Pagézy, tués si souvent, prospèrent et produisent depuis 1873, et l’étude comparée d’une foule de renseignemens américains et français produit un ensemble de conclusions dont la vérité est chaque jour confirmée par des faits nouveaux.

On voudrait trouver l’immunité sous forme positive plutôt que sous forme comparative ; malheureusement elle n’est absolue pour aucun des cépages américains connus à ce jour, et ses différens degrés remarqués sur une même variété s’expliquent par le milieu comme par le voisinage. En effet, le phylloxéra préfère certaines espèces à certaines autres ; il abandonne celles qui lui plaisent le moins pour celles qui lui plaisent le plus : ainsi un riparia semble indemne s’il est entouré de vignes françaises ; par contre, il réunira tous les phylloxéras des environs s’il est entouré de mustangs, variété qui paraît jouir d’une immunité complète.

L’adaptation a des lois inflexibles, qui ne demeurent obscures que parce qu’on a cherché exclusivement celle des racines, en négligeant le rapport des feuilles avec la température, l’état hygrométrique de l’air et l’intensité de la lumière. Les labruscas périssent au Texas, parce qu’étant une variété du Nord, ils ne peuvent traverser le long été de cette région ; il en est de même dans le Languedoc. La nuance foncée de leurs feuilles aidant, le soleil les dessèche, et, de plus, leur origine les porte à hiverner au mois d’août, traversant ainsi septembre et octobre sans feuilles, dans