Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/622

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cachemire. La tête est modelée d’un pinceau un peu dur, un peu sec ; en revanche, les mains sont veules et sans accent. Ici trop de fermeté et là pas assez. C’est cependant un curieux portrait, d’un aspect très personnel et dont on garde longtemps le souvenir dans les yeux. Le portrait de femme, d’un si grand caractère, qu’expose M. Puvis de Chavannes donne aussi cette impression profonde et persistante. On a bien lu, nous avons bien écrit : un portrait peint par M. Puvis de Chavannes. Voici qui était imprévu. Le maître a appliqué à l’art du portrait, où l’on prodigue tous les charmes et toutes les puissances de l’exécution, les procédés simples, la facture tranquille et austère de la peinture murale, et, pour cette fois, la tentative a bien réussi. Il ne faudrait pas cependant que ce portrait fît école parmi les portraitistes, ni que son succès très mérité fit oublier à M. Puvis de Chavannes qu’on attend encore de lui de grandes œuvres.

M. John Sargent a-t-il voulu peindre un tableau ou une réunion de portraits de petites filles ? Les portraits sont sans doute ressemblans, mais le tableau est composé d’après des règles nouvelles : les règles du jeu des quatre coins. Au premier plan, un bébé, assis sur un tapis bleuté, joue avec sa poupée ; à gauche, une fillette blonde, appuyée les mains derrière le dos contre la paroi, vous regarde fixement. Au fond, se tiennent les aînées, près d’un immense cornet du Japon à décor bleu, haut de près de deux mètres, dont le pendant attire le regard à l’autre extrémité de la pièce. Il y a d’ailleurs bien des mérites dans ce tableau à compartimens. Les physionomies merveilleusement saisies frappent par leur vivacité et leur caractère de vérité ; les attitudes sont variées et naturelles. La couleur est fine, agréable, distinguée, et l’entente de la lumière tout à fait remarquable. Le malheur est que l’exécution proprement dite est lâchée. Rien n’est fait, tout n’est qu’indiqué, mais indiqué, il le faut reconnaître, avec une sûreté magistrale. Au moins, ne reprochera-t-on pas à M. Sargent de trop finir ses tableaux. — Un autre tableau d’enfans, divisé en trois parties, est celui de M. Tanzi. M. Tanzi a pris le soin d’inscrire le nom de ces garçons au-dessus de leur tête. C’est sans doute pour qu’on les reconnaisse. Ésope conte que certain peintre de la plus haute antiquité procédait ainsi. Il écrivait près de ses figures : Ceci est un homme, ceci est un bœuf.

M. Clairin expose Mlle Krauss dans le costume de dona Anna du Don Juan. Assise, sur un de ces fauteuils Renaissance à dossier monumental, elle tient son loup à la main et, la tête tournée de profil, elle semble au moment de proférer la malédiction contre le meurtrier de son père. Si l’on reprochait à ce portrait de manquer d’intimité, M. Clairin répondrait que le costume même choisi par