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que « le peintre des hommes » se montre là comme un peintre de femmes. Sans doute, M. Bonnat avait déjà fait ses preuves en ce genre dans le célèbre portrait de Mme Pasca ; mais il nous semble que celui de Mme K*** est peint d’une touche plus légère, avec plus de morbidesse. Vêtue d’une robe de velours bleu foncé dont le corsage échancré, garni d’une ruche de dentelle, découvre le cou et la naissance de la poitrine, Mme K*** est debout, de face. Ses bras, tombant naturellement, se rejoignent au-dessous du buse. Un collier de perles tombe du corsage et un croissant de diamans brille dans les cheveux noirs. Le modelé du visage a de la finesse, mais les ombres paraissent un peu bistrées. La pose, très bien trouvée, ne manque dans sa simplicité ni de grâce, ni de noblesse. On regrette de retrouver comme fond les éternels frottis bruns qu’emploie uniformément M. Bonnat pour tous ses portraits. En vérité, cette nappe de bitume s’obscurcissant près de la tête pour la faire ressortir en valeur et s’éclaircissant vers les pieds pour mettre de l’air autour de la figure est un procédé auquel M. Bonnat pourrait renoncer.

Il convient aussi de dire un mot du Portrait du docteur Parrot, par M. Paul Dubois, parce que l’œuvre se distingue des portraits habituels du peintre par son coloris plus vif et ses dimensions réduites. Le docteur est représenté en buste, vêtu de la robe noire et pourpre des professeurs à la faculté de médecine. Le faire précis mais large de la tête peut servir d’enseignement aux peintres de petits portraits, dont l’exécution détaillée, peinée, sans liberté, enlève aux figures le relief et l’illusion de la vie.

Ce relief des formes, ce caractère vivant sont puissamment rendus dans le portrait de femme exposé par M. Roll. La figure entièrement vêtue de noir, robe de satin à petits volans et manteau bordé de vison, ressort sur un rideau d’un vert sombre qui tombe au fond de la toile. Ce portrait, très simple et très sobre d’arrangement, a un grand aspect. La tête est peinte en pleine pâte, on pourrait dire en pleine chair. Pour les étoffes, la brosse vigoureuse du peintre les a chiffonnées avec une maestria incomparable. Toutefois, ne regardez pas de trop près : les cassures du satin, qui jettent de si vifs-luisans, sont presque en trompe-l’œil. On ne saurait demander à un pommier de donner des abricots, ni à M, Roll de peindre comme M. Bouguereau, mais les pommes ont, depuis Eve, leurs titres de noblesse, et M. Roll a bien du talent. Pas plus que M. Roll, M. Falguière n’est un portraitiste de profession. C’est peut-être pour cela qu’on regarde avec tant d’intérêt son portrait de Mme C***. Le peintre-sculpteur a posé son modèle sur un divan turc dont les tons rompus s’harmonisent à merveille avec la robe grenat à garnitures de bandes de