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de M. Hector Leroux, à retrouver ces scènes familières de l’antiquité, dont la science : parait chez cet artiste si facile et si naturelle. M. Ary Renan a peint la Naissance d’Aphrodite. Comme dans le tableau d’Apelles (et sans doute comme dans beaucoup d’autres moins célèbres) la déesse « sort du sein des ondes de la mer blanchissante. » Il y a là les signes d’un talent qui s’affirme. Toutefois, l’Aphrodite ne porte point sur le visage la sérénité de celle qui commande aux. hommes et aux dieux. Cette figure serait plutôt une Ophélie ou même une Psyché persécutée. Il semble que la première, expression de Vénus naissante a été le sourire. Les anciens disaient Venus victrix, M. Ary Renan dit Venus dolorosa.


II

Les tableaux religieux sont peu nombreux. Il convient d’ajouter que la manière dont sont traités les sujets de la Bible et de l’Évangile ne fait point regretter qu’il y en ait si peu. M. Morot a appelé son Christ en croix le Martyre de Jésus de Nazareth pour indiquer sans doute qu’il n’a pas voulu représenter le Fils de Dieu, mais, comme dit Tacite, « cet homme nommé Christ qui fut livré au supplice sous le règne de Tibère par le procurateur Ponce Pilate. » M. Morot a parfaitement réussi à tenir cette figure dans la plus vulgaire des réalités humaines. Aussi bien M. Bonnat lui en avait donné l’exemple par son trop célèbre Christ du Palais de justice. Quel intérêt y a-t-il à peindre un homme sur la croix, si cet homme n’est qu’un supplicié quelconque ? C’est comme M. Brunet, qui a eu l’idée triomphante de montrer les Gibets du Golgotha après que le Christ a été porté au sépulcre. Il ne reste plus que les deux larrons ! Pour en revenir à M. Morot, ce peintre fait certes preuve de talent et d’étude dans le torse de Jésus, supérieurement modelé, mais ces qualités de facture ne suppléent pas à tout ce qui manque au tableau. Nous n’insistons pas sur l’écartement disgracieux des jambes ni sur leur dessin discutable, encore moins sur ce détail que le Christ est cloué par quatre clous sur une énorme poutre en retour d’équerre, si massive et si lourde qu’il a dû falloir un chariot attelé de deux chevaux pour l’amener au sommet du Golgotha. Ce Christ est si peu le Christ que cette indifférence pour la tradition est sans importance. L’Adoration des bergers, de M. Le Rolle, est conçue dans le même caractère réaliste ou prétendu tel, car, en ces sujets, plus on suit la tradition et plus on s’approche de la vérité. Il n’y a nulle recherche dans les types ; heureusement le clair-obscur bien entendu donne à la scène une impression mystérieuse. Il nous paraît que M. Carolus Duran s’est trompé dans la