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la scène de morgue que M. Falguière nous a montrée dans le Sphinx. Le monstre est accroupi au fond d’une grotte obscure. Des cadavres dans des attitudes ramassées, qui rappellent les horribles photographies de ce noyé que ses assassins avaient lié avec des conduites de plomb, occupent les premiers plans. Le dessin ne semble pas très orthodoxe, ou bien il faut admettre que la mort altère les formes. La couleur a de la vigueur et du mystère. Au demeurant, cette toile est moins un tableau qu’une ébauche, et l’on comprend que l’artiste n’ait point voulu passer trop de temps devant un si hideux spectacle.

Cette femme nue qui traverse le ciel sur un char est-elle, comme on le pourrait croire, l’étoile du matin marchant vers les lueurs rosées de l’aurore ? Est-elle, comme le dit M. de Liphart, l’Etoile du soir qui se dirige vers la pourpre du couchant ? Le petit génie qui se cramponne à la roue du char s’efforce-t-il de la pousser ou de l’arrêter ? Ceci importe peu à savoir. Ce qui importe à dire, c’est que cette figure isolée dans l’immensité du ciel a beaucoup d’effet, c’est qu’elle a même plus que de l’effet. Il y a de la profondeur dans le ciel, de la légèreté dans les nuages ; les tonalités des cheveux et du voile noir sont justes ; le torse de la femme, supérieurement peint, n’est pas moins remarquable que le beau caractère du dessin.


Avril, c’est ta douce main
Qui, du sein
De la nature, desserre
Une moisson de senteur
Et de fleurs
Embaumant l’air et la terre.
C’est à ton heureux retour
Que l’Amour
Souffle à doucettes haleines
Un feu croupi et couvert,
Que l’hyver
Receloit dedans nos veines.


Dans son Printemps qui passe, M. George Bertrand s’est inspiré de ces jolis vers de Remy Belleau. Il a voulu exprimer sous une forme symbolique ce renouveau du printemps, cette sève ardente qui court dans la nature entière. Montées à la façon des Amazones sur de grands chevaux blancs, cinq femmes nues, ivres d’air, de lumière et de mouvement, et agitant des branches fleuries de pommiers, dévalent comme une avalanche au milieu d’une clairière inondée de soleil. L’idée est poétique, mais pour la bien rendre, il fallait donner à ces figures plus de style, à ces têtes plus de vraie beauté. Il fallait montrer d’autres femmes que des modèles d’atelier, d’autres