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l’avare ; la prédominance des sentimens bienveillans produira la sympathie activer la charité, l’amour de l’humanité ; la prédominance des émotions expliquera le sentimental, le passionné, le mélancolique ; la supériorité des facultés actives produira l’ambitieux, le politique, l’homme de guerre ; les aberrations de la volonté rendent compte des naturels obstinés, réfractaires, indociles la l’expérience de la vie comme à l’éducation ; le triomphe exclusif de l’élément intellectuel ou son mélange, à différentes doses, avec la sensibilité expliquera les hommes de raisonnement et d’observation, ou bien les artistes et les poètes. — Le naturel, tant qu’il n’est pas élaboré par le travail personnel de l’homme, a une force d’impulsion presque irrésistible qui a été de tout temps remarquée :

Le naturel toujours sort, et sait se montrer ;
Vainement on l’arrête, on le force à rentrer,
Il rompt tout, perce tout et trouve enfin passage[1].


C’est le cri de La Fontaine : « Tant le naturel a de force[2] ! » C’est l’observation de Destouches, si connue, si souvent citée, avec des erreurs continuelles : d’attribution et d’origine :

Chassez le naturel, il revient au galop[3] ;


ou la maxime pédagogique de Bonnet : « C’est à bien connaître la force du naturel que consiste principalement le grand art de diriger l’homme. »

Le naturel est le premier trait psychologique de l’individu vivant ; il existe chez l’animal comme chez l’homme ; mais, chez l’homme, l’individualité monte plus haut et s’achève en devenant la personnalité par l’intervention de la volonté et de la raison. — Avant de montrer la part de l’homme dans la formation de son caractère, nous devons signaler un élément très important qui, sous mille formes, y intervient, je veux dire l’ensemble des influences extérieures, de toutes ces actions mêlées, le milieu ambiant, les coutumes, les institutions et les religions, les opinions régnantes, les mœurs de chaque génération ou de chaque peuple qui modifient ou transforment profondément cette donnée première du caractère futur. C’est là une cause inépuisable de variétés nouvelles que l’on peut à peine indiquer dans une rapide analyse. Qu’il nous suffise de rappeler

  1. Boileau, satire XI.
  2. Fables, II, 18.
  3. Le Glorieux, III, 5.