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IV

Ce qui console un peu, quand il faut, par respect pour la vérité, reconnaître les méprises dans lesquelles sont parfois tombées nos assemblées délibérantes françaises, c’est que les mesures irréfléchies qu’elles ont trop souvent adoptées à l’improviste leur ont presque toujours été dictées par quelque sentiment d’irrésistible générosité. Ce fut le mobile qui décida, en 1848, les représentans du peuple à diriger vers l’Algérie les ouvriers déclassés de Paris. Ce fut encore un mouvement de sympathie non moins spontané qui poussa, en 1871, l’assemblée nationale à attribuer 100,000 hectares de terre dans notre colonie africaine aux Alsaciens-Lorrains originaires des provinces annexées à l’empire allemand. Introduite à Versailles, dès les premières séances, par voie d’initiative individuelle, cette proposition fut aussitôt acclamée. Les termes dans lesquels elle était conçue expriment d’une façon touchante quelle était la préoccupation de ceux qui l’avaient rédigée, lorsqu’ils demandaient tristement à leurs collègues de la voter comme une sorte d’atténuation, si légère et si incomplète qu’elle fût, aux dures conditions de paix que, peu de jours auparavant, ils avaient été contraints de signer avec les détenteurs de nos provinces perdues :


L’assemblée nationale, disaient les signataires de la proposition, attachée par des lieus de cœur indissolubles aux patriotiques populations de l’Alsace et de la Lorraine, dont elle a cédé avec une douleur profonde, sous l’empire de circonstances qu’elle n’a pas faites, le territoire matériel, et voulant, autant qu’il est en son pouvoir, garder les armes et les bras de ces races si vaillantes, décrète :

Art. 1er. — Une concession de 100,000 hectares des meilleures terres dont l’état dispose en Algérie est attribuée aux Alsaciens et Lorrains habitant les territoires cédés, qui voudront, en gardant la nationalité française, demeurer sur le sol français.

Art. 2. — Le transport gratuit aux frais de l’état et une indemnité de premier établissement seront accordés aux individus et aux familles déclarant vouloir user du bénéfice qui leur est offert.

Art. 3. — Une commission de quinze membres sera nommée pour étudier et préparer, dans le plus bref délai possible, la série des mesures qui devront réglementer l’exécution de la présente loi[1].


Au 15 septembre suivant, la motion parlementaire devenait une loi définitive insérée au Moniteur, et précédée d’un rapport de M.

  1. Proposition de M. de Belcastel et de quelques-uns de ses collègues, déposée le 20 Juin. (Moniteur du 22 juin 1871.)