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l’association ; mais ils se trompent ; ils n’obtiendront que l’égalité dans la misère[1]. »

La misère pour de braves gens au sort desquels, comme militaire et comme agriculteur, il portait le plus vif intérêt, voilà bien à quoi avait abouti, au bout de peu de temps, l’essai tenté par le maréchal Bugeaud. Quant à la colonisation, elle n’en profita guère elle-même, car, lisons-nous dans un ouvrage ayant pour titre : l’Algérie en 1880, ou le Cinquantenaire d’une colonie, « les soldats de ces trois villages rentrèrent presque tous chez eux, abandonnant leu » propriété éventuelle[2]. »


III

Le système de colonisation qui venait d’échouer ainsi devant le parlement était sorti armé de toutes pièces du cerveau d’un éminent soldat, auquel ne manquaient ni l’expérience, ni le bon sens, ni assurément la connaissance des choses de l’Algérie. C’était toutefois une conception un peu factice, où les habitudes du métier et une sorte de fantaisie personnelle avaient tenu beaucoup de place. Il n’entrait, au contraire, aucune fantaisie dans les mesures prises par deux autres généraux non moins attachés à notre colonie africaine, qui, peu de temps après les journées de juin, songèrent à la doter d’une population bien différente de celle que le vainqueur d’Isly aurait préféré y établir. En 1848, Cavaignac et La Moricière obéissaient résolument, mais sans beaucoup d’illusion, à de cruelles nécessités. « C’était le moment où Paris regorgeait d’ouvriers sans emploi ; la prudence et l’humanité conseillaient de leur ménager une issue. À ce titre, nos possessions dans le nord de l’Afrique s’offraient naturellement à l’esprit. Tout sacrifice appliqué à cette destination prenait la forme d’un intérêt national[3]. » Un décret signé par le chef du pouvoir exécutif, à la date du 19 septembre 1848, fixait à douze mille le nombre des colons à expédier en Algérie, auxquels mille cinq cents autres furent adjoints au mois de novembre suivant, ce qui portait le chiffre total à treize mille cinq cents. Cinquante millions de francs formèrent la dotation de cette entreprise, à savoir : 5 millions sur l’exercice de 1848, 10 millions pour 1849, le surplus à répartir sur les exercices suivans. Un arrêté du général La Moricière, ministre de la guerre, annonçait, le 27 septembre, que chaque colon recevrait : 1° une habitation

  1. Les Socialistes et le Travail en commun, par le maréchal Bugeaud d’Isly. Chanoine, imprimeur, 1849.
  2. Le Cinquantenaire d’une colonie : l’Algérie en 1880, par Ernest Mercier.
  3. Rapport de M. Reybaud, séance du 6 avril 1850. — Moniteur du 12 avril 1850, page 1190.