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surprenant que l’attention du public en soit venue à se désintéresser insensiblement d’un sujet dont les dépositaires du pouvoir et les représentans de la nation l’ont si peu entretenu ?

Mais parlons franchement et disons les choses comme elles sont. Nos compatriotes établis de l’autre côté de la Méditerranée n’ont-ils pas, eux aussi, quelques reproches à se faire, et dans le moment où je voudrais attirer sur leurs doléances légitimes l’attention qu’elles méritent, peut-être ne trouveront-ils pas mauvais que je leur demande s’ils sont bien assurés de n’être pas eux-mêmes, jusqu’à un certain point, responsables de cette défaveur dont ils gémissent ? Qu’ils me permettent de procéder à leur examen de conscience, ce qui est toujours facile quand il s’agit des autres. Les Algériens ont reçu de la république, comme don de joyeux avènement, presque tout ce qu’ils avaient demandé à l’empire, un peu plus même, car personne, que je sache, excepté M. Crémieux, ne les avait entendus formuler un vœu impérieux pour la naturalisation immédiate et en bloc de tous les israélites de l’Algérie. Deux décrets datés de Tours et de Bordeaux, en octobre 1870 et en février 1871, ont constitué notre colonie en trois départemens ayant chacun le droit de nommer deux représentans. Les gouvernemens et la haute administration de l’Algérie ont été centralisés à Alger sous l’autorité d’un haut fonctionnaire qui recevait le titre de gouverneur-général civil de ces trois départemens. Par suite des événemens de la métropole, et sans qu’il fût besoin pour cela d’aucun décret, la presse algérienne, jusqu’alors si sévèrement bâillonnée, est devenue soudainement libre comme celle du reste de la France, et nos compatriotes des trois départemens d’Alger, d’Oran et de Constantine ont été mis, du jour au lendemain, en possession, pour la défense de leur cause, de cet instrument merveilleux à la fois et redoutable, car il est également puissant pour le bien et pour le mal. Voyons l’usage qu’ils en ont fait.

Depuis le jour où la France a pu, après la paix, rentrer en possession d’elle-même et de la plus grande partie, sinon, hélas ! de la totalité de son sol national, le gouvernement de M. Thiers s’est uniquement appliqué à guérir les douloureuses blessures qu’elle venait de recevoir. A Alger la politique réparatrice de cet homme d’état avait droit de compter sur une cordiale adhésion, car personne, dans le passé, n’avait pris plus chaudement à cœur les intérêts de notre colonie africaine. Le choix de l’amiral de Gueydon et le soin de lui assigner le titre de gouverneur-général civil attestait une fois de plus non-seulement la sympathie persévérante du chef du pouvoir exécutif pour ses anciens cliens, mais sa prompte clairvoyance à deviner la nature des difficultés auxquelles il fallait pourvoir. M. Thiers se rendait parfaitement